Condition de Dieu et

Condition de serviteur :

Christ et Jésus

Cette prédication a été donnée le 28 septembre dans la salle "Arc en ciel" attenante au Temple de Die dans la Drôme.

Si certains mots grecs (abg écrits en rouge) ou hébreux (dgb) écrits en bleu) ne vous semblent pas être correctement affichés, c'est probablement que les polices d'affichage dans ces langues n'existent pas encore sur votre ordinateur. Vous pouvez les charger à cette page de mon site.

Sommaire

Les textes bibliques

Pour ce culte, je me suis appuyé sur les textes bibliques suivants qui sont ceux proposés par le lectionnaire commune des Églises Chrétiennes francophones.

Les mots entre parenthèses (...), absents des textes originaux ont été ajoutés en français pour des raisons de compréhension.

Les mots entre crochets (...], présents des textes originaux sont omis à la lecture en français pour des raisons de fluidité.

Les mots ou phrases entre barres verticales |...|...|indiquent des variantes (importantes) possibles de traduction qui peuvent en modifier le sens de façon significative.


Ézéchiel 18, 25-28

Au début du chapitre, ce serait trop long de le lire, le prophète présente le double cas d'un homme juste ayant un fils méchant et celui d'un homme méchant ayant un fils juste.

25 [et] Vous dites :

Écoutez donc, maison d'Israël :

  • 28 il comprend et se détourne de ses transgressions qu'il pratiquait, il vit vraiment, il ne meurt pas.

Matthieu 21,28-32

Le passage se situe sur l'esplanade du Temple de Jérusalem. Jésus est pris à parti par "les grands-prêtres et les anciens du peuple", d'où plusieurs échanges "musclés" dont celui-ci. C'est Jésus qui commence le dialogue :

28 (Qu'est-ce) Que vous évoque ceci (cette histoire) ?

Un humain (homme) avait deux enfants.

S'approchant du premier, il dit :

29 Celui-ci répondit, disant :

Puis, se repentant, il s'y rendit.

30 S'approchant (de même) du second, il dit la même chose.

Celui-ci répondit, disant :

Mais il ne s'y rendit pas.

(Jésus ajouta :)

Ils (Les auditeurs) dirent (répondirent) :

Et Jésus leur dit :

  • Pourtant les percepteurs et les prostituées ont cru en lui. Mais vous, ayant vu (cela), vous ne vous êtes pas repentis [ensuite] pour croire en lui".

Philippiens 2,1-11

2 (alors) comblez-moi de joie, jusqu'à ressentir (|la |les |) même(s) (| joie | choses | sentiments |),

5 En effet ressentez | en | entre | vous (tout) ce qui fut en Christ Jésus :

6 Lui qui

Étant devenu en ressemblance d'humain, et étant perçu à son aspect comme humain,

8 il s'abaissa lui-même.

étant devenu obéissant jusqu'à la mort et même la mort de la croix.

9 C'est pourquoi [le] Dieu

10 afin | qu'en le | qu'au | nom de Jésus fléchisse(nt) tout genou(x) (, ceux)

11 et que toute langue professe que Seigneur est Jésus Christ dans la gloire de Dieu Père.


La Prédication

Frères et sœurs,

Vous avez entendu trois passages bibliques dont il me faut maintenant vous proposer un sens, un programme même, pour votre vie de croyantes et de croyants aujourd'hui. Et comme les exégètes qui ont choisi le lectionnaire ne sont pas des idiots, il faut même présumer un programme commun.


Les conversions selon Ézéchiel

Un dialogue

Devant Ézéchiel, la maison d'Israël, c'est-à-dire la communauté des croyants, ose interpeller son Dieu et critiquer sa conduite telle qu'annoncée par le prophète dans le passage précédent que nous n'avons pas lu.

En raison du contexte je pense que la réponse corrige le raisonnement des objecteurs et explicite la pensée divine, mais il ne leur est pas reproché d'avoir été en désaccord avec Dieu, simplement de ne pas l'avoir compris.

Cela témoigne d'une proximité des hommes avec Dieu puisqu'ils peuvent s'opposer à lui ; cela montre une proximité de Dieu avec les hommes puisqu'il explicite sa pensée sans s'offusquer ; il ne leur demande pas, l'air offusquer, s'ils pensent que lui, Dieu, n'a pas deux neurones d'intelligence et n'est pas cohérent avec lui-même.

Ainsi la relation divin - humain est celle d'une proximité en dialogue à l'opposé de la sujétion, qui serait attitude de sujet envers un roi. Je vous renvoie à Job interpelant Dieu sur son sort, à Abraham négociant le futur de Sodome et Jésus sur la croix apostrophant celui qui l'avait abandonné.

Deux conversions

Dans le texte, deux détournements sont évoqués, ou plutôt deux retournements. C'est, comme toujours, un vocabulaire profane qui indique un changement total de direction, un tournant à 180° ; en patois religieux on dit une conversion.

Un juste devient injuste, un méchant pratique désormais la droiture et la justice.

Mais ces deux changements ne sont pas évoqués à égalité. Le début de chaque phrase a la même structure grammaticale, mais la seconde a une longueur double de la première.

Autrement dit, le cas du devenu injuste ne pose pas de problème, ni au peuple, ni à Dieu : il en meurt et basta ! Il meurt de l'injustice pratiquée ; attention ce n'est pas Dieu qui le tue, qui l'égorge comme un otage aux mains de ravisseurs qui se prétendent être la main armée de leur Dieu.

C'est l'iniquité qui tue celui qui la pratique. Faire du mal aux autres, c'est faire du mal à soi. S'opposer aux autres par l'injustice, c'est se condamner soi-même. Vivre dans l'iniquité contre son prochain, c'est vivre dans une mort d'une relation équitable avec celles et ceux qui sont autour de soi, c'est s'isoler hors d'une vie sociale, c'est se conduire à la mort, en tout cas à la mort relationnelle. C'est son injustice qui fait mourir à petit feu l'injuste dans sa relation à autrui et à Dieu.

Contrairement à beaucoup d'idées reçues et autrefois enseignées en chaire et en famille. Le Dieu du Premier Testament n'est pas un Dieu vengeur qui tue le méchant ; Dieu constate que le pécheur s'est séparé lui-même des autres humains et en meurt symboliquement. Ici et maintenant sans besoin de faire appel à un "après" bien mystérieux.


Ce qui pose problème c'est que le méchant puisse se convertir, devenir juste et vivre. C'est pourquoi il faut l'expliquer avec une phrase de longueur double de celle du premier cas.

Car le bien pensant qui s'est efforcé d'accomplir la Loi toute sa vie ne supporte pas que celui qui a eu une vie de patachon puisse se retourner vers la vie et vive.

Le méchant qui pratique le bien obtiendra la vie, c'est certain … en tout cas pour le prophète ; le pécheur qui pratique la justice ne mourra pas, c'est sûr … en tout cas pour Dieu.

Toutes ses fautes sont oubliées. Car Dieu est oublieux, il oublie le passé, celui de l'ancien juste, comme celui de l'ancien méchant ; il ne mémorise que les dernières actions. Nous sommes donc rassurés, Dieu n'est donc pas atteint d'Alzheimer puisque ces malades oublient le passé proche et mémorisent encore le passé lointain. Dieu est notre anti-Alzheimer.

Cette affirmation qu'on peut toujours se convertir a amené certains des anciens prédicants et prêtres à dire qu'on pouvait se convertir sur son lit de mort pour accéder à la vie éternelle. Mais comme on ne savait pas quand la mort allait survenir, il fallait mieux se convertir tout de suite au cas où elle vous prendrait dans les cinq minutes.

Rien de tel ici sur une nouvelle vie après la mort, les verbes vivre et mourir ne sont pas au futur, d'ailleurs il n'y a pas de futur en hébreu ; ils sont à l'inaccompli, ce temps qui signifie la durée à partir du présent. La vie après conversion est nouvelle est ici, dans un recommencement de la vie présente.


Jésus a été aussi confronté à cette attitude de refus du changement qu'avaient des pharisiens et des anciens, c'est pourquoi il nous a raconté la parabole dite de l'enfant prodigue, celle de la brebis perdue, celle des deux fils que nous avons entendue tout à l'heure. Rappelons-nous qu'il y a plus de joie en Dieu pour un pécheur qui se convertit que pour cent justes qui restent dans la foi.

Parce que, même pour un juste, il n'y a pas de garantie de durée. Beaucoup font des allers et retours entre la justice et l'iniquité. D'ailleurs si je dis "Untel est, ou devient, un juste", vous n'entendez pas si j'ai dit "un juste" en deux mots ou "injuste" en un mot. Il y a perméabilité entre ces deux états, c'est pourquoi il ne nous appartient pas de juger qui est juste et qui est injuste.

Mais c'est l'agir de chacun qui le juge, pas un dieu de la balance présent dans le "Livre de la mort" des anciens Égyptiens mesurant le poids respectifs des bonnes actions et des mauvaises actions.


Dans le texte, il ne s'agit pas d'abord de la relation avec Dieu, n'est pas récompensé celui qui croit en Dieu ou qui vient au temple offrir un sacrifice ou participer à la prière commune du culte ; ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, croire et pratiquer sont de bonnes choses, mais ce n'est pas l'objet de ce texte.

On nous parle de pratiques humaines, d'être juste ou injuste les uns envers les autres. Jésus dira "aime en vérité, en pratique, son prochain".


Les deux fils du père

Puisqu'on parle de Jésus, parlons du texte de Matthieu.

Remarques sur le texte

Un homme avait deux fils, c'est ce que disent quelques traductions. Ça ne change pas grand-chose, mais le texte grec ne parle pas d'un homme mais d'un humain Ἄνθρωπος, son genre importe peu dans l'histoire. Il ne parle par de deux fils, mais de deux enfants Τέκνον. Là aussi le sexe importe peu, il s'agit d'un jeune humain, on pourrait traduire par garçon ; ce n'est pas la relations filiale qui est principalement indiquée, mais la condition de petit d'humain.

Je sais que enfant était utilisé par un maître d'école pour parler à/de ses élèves, même adultes ; il peut indiquer une relation de dépendance, non par l'âge, mais par le savoir. De même le πατηρ du verset 31 s'il désigne le plus souvent le père ou un ancêtre, peut aussi désigner un père spirituel comme un enseignant d'une école de philosophie. Dans d'autres langues on dit un gourou. Mais je trouve ce terme assez brutal.

Ce caractère impersonnel est amoindri par certaines traductions qui indiquent mon enfant quand l'homme s'adresse à un premier enfant, mais le possessif affectueux n'est pas dans le texte. L'homme dit assez brutalement Garçon, va travailler à la vigne. Remarquez qu'il n'est pas dit qu'il s'adresse à l'ainé ou au puiné, c'est au premier rencontré.

Pour dissiper les malentendus, je précise aussi que le vigneron n'attend pas de voir ce que fait le premier gosse pour s'adresser au second, ce n'est pas un piège pour comparer l'obéissance des deux enfants ; les temps des verbes et la similitude de la construction des phrases montrent que l'homme s'adresse à chacun séparément sans attendre la réponse du premier. Le vigneron avait simplement besoin deux paires de bras dans le vignoble.

Donc le lectionnaire est dans l'erreur, ce n'est pas aujourd'hui que la vigne a besoin de travailleurs, c'était la semaine dernière lors des vendanges. Aujourd'hui le besoin est plutôt au pressoir et à la cave … Je m'égare.

Des personnages

Nous voilà face à un père qui parle a ses enfants d'une façon assez brutale, il leur donne des ordres comme à des serviteurs, sans explication sur ce qu'il y a à faire et sans formule de politesse ; n'avez-vous pas appris à dire à vos enfants et petits-enfants "s'il te plait" et "merci" ?

Nous voyons surtout deux fils adultes, chacun avec sa personnalité.

Le premier ose dire "non". On peut dire qu'il a de la personnalité, ce n'est pas un béni oui-oui. Il réfléchit ensuite et son sur-moi lui permet de décider de faire ce qui lui est demandé, de faire ce qu'il doit faire. Vous aviez déjà fait le rapprochement avec le texte Ézéchiel avec la figure du méchant, il avait désobéi, il se détourne de son refus et agit justement.

Le second enfant n'ose pas dire non mais se défile. Ce fayot dit oui à son père. Il n'a pas la franchise de s'opposer alors qu'il n'a pas envie d'aller travailler là où on lui demande.

On n'est pas ici dans l'autre cas exposé par Ézéchiel. Le prophète parlait d'une personne ayant agi bien et changeant pour agir mal ; dans Matthieu, on est dans le cas d'un enfant qui parle bien mais qui agit mal, il n'y a pas conversion vers le mal mais des paroles en l'air sans mise en œuvre pratique. Pour faire le lien avec dimanche dernier ce second n'avait pas dit-bien, n'avait pas prononcé la bénédiction.

Vous avez entendu qu'il dit Maitre à son père, pas Papa, il lui parle en serviteur, en esclave.

Les auditeurs

Passons maintenant au quatrième protagoniste de l'histoire, celui collectif des auditeurs.

Les auditeurs ont intellectuellement raison puisqu'ils donnent la bonne réponse, en tout cas celle que vous avez vous-même donné in petto en entendant ce texte. Mais remarquez que Jésus n'approuve ni ne désapprouve leur réponse, votre réponse.

Mais il semble désapprouver brutalement les prêtres, scribes, pharisiens et presbytres qui l'interrogeaient sur l'esplanade du Temple. Alors que les percepteurs et les prostituées sont louangés.


Donc deux groupes ont cru en Jean, les percepteurs τελωνης et les prostituées πορνη ; un substantif masculin désignant un métier d'hommes et un substantif féminin désignant un métier de femmes. Car ce sont bien les femmes prostituées qui sont visées ici, pas les hommes prostitués, les πορνος.

La prostitution un métier de femme ? En effet c'était alors un des rares métiers possibles pour les femmes veuves ou répudiées par leur époux qui en avait le droit unilatéralement.

À cette époque sans usine, sans bureau, sans administration et surtout sans salarié(e)s, les hommes pouvaient être artisan ou agriculteur. Il y avait bien quelques servantes de maison au milieu des serviteurs. Mais c'était souvent, comme en France au XIXème siècle en France, accompagné de sévices sexuels.

Jésus respecte la parité entre les sexes, et les deux sexes ont également accès au royaume, à la maison de Dieu.

Par contre un groupe n'a pas fait confiance à Jean lorsqu'il demandait la repentance et le retournement des pratiques. Il s'agit des bienpensants de la religion, ceux qui savent la Loi, les scribes, ceux qui connaissent la Torah, les pharisiens et ceux qui savent la liturgie, les prêtres.

Ils savaient, mais ne pratiquaient pas la justice demandée par Jean. Tout le contraire des percepteurs, ces esclaves de l'argent et les prostituées ces esclave du sexe, qui eux ne savent pas mais s'entraident et font du bien.


Un hymne christique

Une communauté amie

Passons au plat de résistance, l'épître aux Philippiens. La ville de Philippe est une ville grecque entre la Macédoine et la Thrace peu loin de la péninsule du Mont Athos. Elle est située à une douzaine de kilomètres de la côte. Elle est devenue une colonie romaine, c'est-à-dire une ville au statut privilégié car habité par de nombreux anciens soldats démobilisés.

C'est la première ville européenne que Paul a atteinte, c'était lors de son second voyage de mission probablement en 50. Il y laissa une petite communauté, principalement des anciens païens. Paul resta en contact avec cette communauté, notamment une Lydie, marchande de pourpre.

C'est la seule Église dont il ait accepté plusieurs fois une aide financière. Il semble que cette communauté était très appréciée de Paul, en quelque sorte le bon élève de la classe ; ce n'était pas comme ces Corinthiens turbulents et querelleurs.

Après avoir pensé que c'était une épître tardive écrite de Rome, on pense maintenant qu'elle fût écrite à Éphèse à peu près en même temps que les deux lettres aux Corinthiens, vers 56 ou 57. Ce n'est pas une œuvre théologique d'un écrivain aguerri comme l'épître aux Romains, mais une lettre affective écrite pour encourager des amis.

Structure

Le texte lu est composé, vous l'avez peut-être entendu, de deux parties :

Bien que la traduction amoindrisse les styles, on montre que la première partie est en prose et que la seconde est, sinon en vers, du moins en style poétique. Pendant longtemps on a cru que Paul avait repris un hymne liturgique préexistant, maintenant on pense plutôt que Paul a composé ce texte pour l'occasion mais en mettant une emphase lyrique sur les idées professées.

Les demandes aux Philippiens

La structure de la première partie est simple, quatre conditions ει suivies d'un impératif accompagné de quatre participes présent ; quatre puis quatre, Paul adore structurer ses discours. Je m'explique.

Les quatre conditions sont sans verbe, par exemple la première se lit si on réconfort. Quelques-uns utilisent une formule impersonnelle s'il y a un réconfort, j'ai préférez suivre la logique de l'impératif qui s'adresse à ses auditeurs, donc à nous. Le plus simple aurait été vous avez, mais comme il ne s'agit pas de choses matérielles qui peuvent être possédées, j'ai préféré un verbe faisant appel aux sentiments comme au verset 2 ; éprouvez annonce ressentir.

Au début du texte, quatre ressentis découlent, selon Paul, d'une vie spirituelle inspirée par Christ :

Ces conditionnels sont une figure de style, Paul connait bien cette communauté chérie et appréciée, il sait bien que les croyants éprouvent ces sentiments, les expérimentent déjà sans que ce soit une épreuve.

Il peut les encourager à poursuivre ce chemin en leur donnant un impératif ; un ordre, plutôt une supplique. Comblez-moi de joie ou plus simplement comblez ma joie.

Jusqu'à ressentir …, on ne sait quoi, le texte grec est elliptique et dit seulement αυτος cela ou même. Beaucoup écrivent les mêmes sentiments en annonçant ce qui suit, mais grammaticalement, il faut plutôt renvoyer à ce qui précède. Faute de mieux certains indiquent choses ce qui a l'avantage de laisser la liberté au lecteur, mais n'éclaire pas le sens du texte.

Je préfère penser que Paul ne vise pas une joie égoïste, une joie le comblant seulement, mais qu'en comblant Paul de joie les Philippiens vont eux-mêmes ressentir …une joie profonde et comblante. Mais au-delà des croyants de Philippe, c'est nous qui sommes destinataires de la lettre, c'est nous qui pouvons aussi être comblé de joie et comblant Paul.

Paul nous incite à éprouver et donner la joie par cette suite de participes présents qui reprennent les quatre premières conditions dans un ordre différent :

Le seul problème de ce passage est le premier verbe du verset 3. Vous le lisez peut-être dans vos bibles sous la forme regarder, considérer l'autre comme au-dessus de vous. Je me permets de développer, car on lit le même verbe au verset 6c où le sujet est Christ.

Le Bailly, dictionnaire grec de référence, indique pour ηγεομαι un premier sens celui de diriger et comme second sens celui de considérer. Vous avez entendu le mot grec, il a donné en français hégémonie qui indique la puissance de commandement, puissance non partagée.

Le second sens indique la fonction de juger qui découle de la fonction de diriger, et pour juger, il faut considérer la situation à juger. Mais c'est un sens dérivé que je n'ai pas retenu, d'autant plus que Paul a déjà utilisé ici d'autres verbes comme ressentir pour parler de sentiments.

Paul demande aux croyants de se diriger les uns les autres, de se donner des conseils sur la direction à prendre, voire de prêcher les uns pour les autres, mais tout ça sans chercher de la reconnaissance, sans se mettre en avant, mais d'être toujours humbles ; pas facile ! Sans oublier que cette assistance doit être réciproque, je t'aide parce je suis aidé par toi ; je te donne des orientations parce que tu me soutiens quand j'en ai besoin.

Liaison

Le verset 5 fait la liaison entre les deux parties. Le mot Christ rappelle celui du début du premier verset. Son verbe ressentez est à l'impératif comme en 2 comblez ; c'est le même verbe que dans la subordonnée "jusqu'à ressentir".

Cette liaison indique un parallélisme entre ce que les croyants ressentent, la première partie, et ce que Christ Jésus ressent, la seconde partie qui vient. Le verset n'indique pas une identité, mais une imitation à réaliser (c'est un impératif) entre le croyant, ses sentiments, ses motivations et Christ qui avait ses sentiments, ses motivations.

L'hymne

Cet hymne est encadré par Christ Jésus en 5 et Jésus Christ en 11. C'est un dispositif classique d'inclusion inversée qui marque l'unité et l'intensité du contenu.

Paul a écrit trois sections dans cet hymne :

La forme

Paul parle de Christ Jésus, remarquez cette forme assez inhabituelle alors qu'on parle habituellement de Jésus Christ, par une inclusion entre deux conditions, celle de Dieu et celle du serviteur.

J'ai gardé ce mot condition parce que vous avez l'habitude de l'entendre dans ce passage, mais il a le désavantage de faire … conditionnel comme la série de conditions que Paul avait alignée au premier verset. Ici il n'y a rien de conditionnel, mais des affirmations.

Ce mot traduit le grec μορφῇ, il ne s'agit pas de Morphée, de dieu du sommeil dans les bras duquel je vois certains tomber ; il est assez rare dans la Bible : seulement 8 occurrences dans la LXXX (Juge, Job, Esaïe, 5 Daniel) et 3 occurrences dans le N.T. (2 ici et Christ sur le chemin d'Emmaüs). Ce mot a donné en français morphologie (étude des formes) ou anthropomorphisme (en forme humaine).

Μορφῇ, c'est la forme ; ce n'est pas l'apparence comme Rodin modelait une statue ayant la forme d'un penseur ; c'est au contraire le modèle qui sert de référence au sculpteur. Il faut penser à une forme de bateau, au moule dans lequel le charpentier dressait la coque qui allait devenir une barque.

Ici condition doit s'entendre comme on disait au siècle dernier la condition ouvrière ou comme la condition humaine chère à Malraux ; il s'agit de qualifier un groupe identitaire, une classe sociale, un statut juridique.

Si Christ est initialement de condition divine, c'est qu'il est de la famille du divin. Mais si je suis de la famille de mon père et de ma mère, je ne suis pas mon père et encore moins ma mère. Être en forme de Dieu, c'est ne pas être Dieu ; car si c'est la forme, ce n'est pas le fond.

Si Christ est en forme de Dieu μορφῇ θεοῦ, ce n'est pas qu'il lui ressemble comme une photo ressemble au sujet, c'est qu'il est bâti de manière semblable. Cependant Paul ne dit pas de quoi est composée la forme de Dieu, ce que veut dire être en forme de Dieu.

Cette forme de Dieu est opposée à la forme du serviteur. Christ a initialement la première et prend la seconde. Il est important de noter que l'opposition n'est pas entre le divin et l'humain. Paul ne nous dit pas que Christ était Dieu et s'est fait homme, ça c'est une préoccupation des pères de l'Église au IVème quand ils ont inventé ce concept aux conciles de Nicée et de Chalcédoine.

Si l'opposition est posée entre un Dieu qui trône dans son royaume sur les nuages et l'esclave noir dans les plantations de bananes en Martinique ou de coton en Virginie, cela ne nous concernerait pas car tous et toutes ici, nous ne sommes ni noirs, ni esclave comme l'oncle Tom. Nous sommes des citoyens français blancs et libres.

Ici l'opposition est entre le divin et la servitude. Elle est entre la liberté totale de Dieu qui se suffit à lui-même et la liberté très relative du serviteur qui est en situation de dépendance. Elle est entre la toutepuissance supposée de Dieu et l'impuissance relative du serviteur qui ne peut pas créer le monde.

Le Christ Dieu s'est muté, dit Paul, en Jésus serviteur. Finalement il n'y a rien d'étonnant pour vous, amateurs de la Bible. Vous connaissez l'affirmation le Fils de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir (Mc 10,45 et Mt 20,28) ou moi je suis au milieu de vous comme celui qui sert (Lc 22,27) et Jésus se leva de table, ôta ses vêtements, … il versa de l’eau dans un bassin, et il se mit à laver les pieds des disciples (Jn 13,4-5).

Paul ne fonde pas ici un dogme de la divinité de Jésus, il répète le message transmis aussi par les évangélistes, Jésus s'est fait serviteur parmi nous et c'est par ce service qu'il figure le plus exactement sa condition d'enfant de Dieu, condition qui est la nôtre telle que signifiée par le baptême et à laquelle nous sommes appelés par notre résurrection.

L'opposition Dieu-serviteur des versets 9-7a se décalque dans une opposition Christ-Jésus énoncée au verset 5. Christ Jésus n'est pas un titre, c'est une contradiction ontologique.

L'inclusion des deux formes englobe deux propositions se rapportant à Christ Jésus : la première proposition est relative à Christ en forme de Dieu et la seconde proposition est relative à Jésus en forme de serviteur.

La première proposition, en 6b, est négative et il est affirmé que Christ ne garde pas un butin qui le caractérisait comme Dieu ; le mot grec pour butin est αρπαγμος dont découle l'avare Harpagon qui voulait garder son argent pour lui seul. Mais Christ ne garde pas pour lui sa forme d'être égal à Dieu. Il conduit sa vie autrement qu'en fils-de. Ce n'est pas ce Jean contemporain qui trouvait que la seule qualité d'être fils-de-Nicolas suffisait pour être président d'un Conseil Général.

Christ ne conduit pas sa vie en égal de Dieu ; mais être égal à Dieu, ce n'est pas être Dieu ; je suis égal à chacun d'entre vous en droit et en dignité, mais je ne suis pas vous.

Être à l'égal de Dieu, c'est ce que promettait le serpent à Ève vous serez à l'égal de Dieu, on sait où cela l'a conduite de se prendre pour Dieu. Jésus en forme de Dieu ne se prend pas pour Dieu. Comme humain, il choisit d'être serviteur donc dépendant ; Jésus a refusé le péché d'orgueil (les tentations au désert). Car le péché d'orgueil menace toujours ; il conduit à la suffisance.

Et la manière choisi par Jésus pour conduire sa vie, c'est de prendre la condition de serviteur en se vidant lui-même. Je sais que vider n'est pas heureux, qu'on pourrait se demander si Jésus avait la tourista. Certains traduisent se dépouilla, mais, à ma connaissance, Jésus n'avait pas de poux. D'autres écrivent s'anéantit, mais quand on anéantit quelqu'un il ne reste rien de lui. Ici il reste Jésus, ce qui n'est pas rien, ou plutôt Christ devenu Jésus.

Le verbe grec κενοω est utilisé pour désigner une outre qui se vide de son eau ou un portemonnaie qui est vidé de ses pièces. Vous voyez que Paul n'est pas très précis alors qu'il avait mis un complément dans la proposition précédente. Je note une opposition entre la joie qui remplit Paul au verset 2, par la foi des Philippiens en Jésus Paul est rempli, super-rempli de joie, et Christ qui se vide de l'égalité en Dieu pour devenir Jésus, un homme, mais surtout un serviteur.

Ce il se vida lui-même renvoie aussi au passage appelé le chant du Serviteur souffrant ; beaucoup l'ont relevé, avec la différence majeure que le serviteur d'Esaïe 52-53 est anéanti par une force maléfique, ce qui le conduit à témoigner de la puissance de son Dieu, alors qu'on insiste ici sur le caractère volontaire de l'anéantissement de Christ Jésus.

La ressemblance et l'aspect

La seconde section de l'hymne est double, rythmée par deux étant devenu au même temps. C'est une même construction grammaticale, un parallélisme pas une opposition, deux qualifications de Jésus une fois qu'il a pris la forme du service.

La première idée allie la ressemblance et l'aspect, les deux fois avec un humain. Vous avez peut-être fait un rapprochement avec un autre devenu en ressemblance et en … image. Il s'agit bien sûr de Gn 1,26-27 où "Dieu dit : Faisons un 'Adam à notre image, selon notre ressemblance",

Pour ressemblance la LXX, la bible grecque, a alors utilisé le même mot grec ὁμοιώμα qu'ici ; mais pour image, elle utilise εικονα (icône), traduit en français par image, alors que Paul utilise σχημα (schéma). Il faut rapprocher l'icône de Dieu qui aurait dû être utilisé pour 'Adam de la forme caractérisant Christ Jésus. Car la forme est à l'icône ce que la sculpture est à la peinture, le cinéma en 3D à celui en 2D.

Ainsi pour Paul Jésus est un nouvel Adam, mais lui a été parfait dans sa prise de l'état de serviteur alors qu'Adam avait failli dans son approche de la connaissance du bien et du mal. Ce thème comparatif revient plusieurs fois dans les lettres de Paul : comme tous meurent en Adam, de même aussi tous revivront en Christ (1 Co 15,22) et si par la faute d’un seul ('Adam), beaucoup sont morts, à plus forte raison la grâce de Dieu et le don qui vient de la grâce d’un seul homme, Jésus-Christ, ont-ils été abondamment répandus sur beaucoup (Rm 5,15,16,17).

L'obéissance et la mort

Paul insiste encore sur le fait que l'abaissement de Christ Jésus prenant condition de serviteur est volontaire lui-même. Cette volonté de se mettre au service des humains (c'est la même chose que prendre un état de serviteur) est signifiée dans les évangiles par le récit de la tentation dans le désert.

Jésus repousse alors la tentation de prendre possession du monde alors que Dieu est réputé être le tout-puissant, de voir les anges se prosterner devant lui et le servir, lui qui est à la ressemblance de Dieu.

Jésus a accepté pleinement d'être obéissant (verset 8b) ; qui doit être obéissant, sinon le serviteur qui obéit aux ordres de son maître ? Cette obéissance, n'est pas une nouvelle idée, c'est la conséquence du choix de servir.

Obéissant, plus encore obéissant jusqu'à la mort. Est-ce l'obéissance qui conduit jusqu'à la mort ? On peut se remémorer le texte choisi par Gauthier il y a trois semaines, celui d'Abraham et son fils ; l'obéissance du patriarche conduisait son fils à la mort. Si l'obéissance conduit à la mort, ne vaut-il pas mieux désobéir pour garder la vie ?

Je relis le texte obéissant jusqu'à une mort, car il n'y a pas d'article défini, c'est-à-dire obéissant jusqu'à mourir. En choisissant de servir, Jésus a été obéissant toute sa vie, et sa vie s'est terminée par une mort … une mort infamante sur la croix.

Doxologie

Paul termine ce passage par une louange à Dieu qui va faire passer "le" (deux fois dans le verset 9) Christ Jésus en Jésus (verset 10) puis Jésus Christ en 11.

Dieu va le surélever, en opposition avec il s'abaisse lui-même. L'abaissement était volontaire, mais l'élévation est subie par Jésus. De plus il va εχαρισατο le gratifier, ce n'est pas un simple don, c'est un don par grâce. Et en bon protestants, vous savez bien que le don de Dieu est gratuit, c'est-à-dire sans condition, sans mérite de la part du récipiendaire.

Vous savez bien que vous êtes promis au salut parce que vous êtes enfant de Dieu et pas pour vos mérites. Ici c'est la même chose, le serviteur est gratifié, non pas par ses mérites, même pas à cause de sa mort, mais en raison de son état de serviteur, de toute sa vie en service auprès de nous.

Or donc Dieu gratifie ce serviteur en ressemblance d'humain d'un nom qui est au-dessus de tout nom. Le nom, ce n'est pas dans le monde antique qu'il prénom sur un acte d'état civil, c'est une désignation complète de l'être, de sa vocation, de sa vie. C'est pourquoi le nom de certains croyants change que se précise leur destiné, Abram' en Abraham, Saraï en Sara, Jacob en Israël, Simon en Pierre, Saül en Paul.

Mais quel est le nom donné au serviteur volontaire qui était en forme de Dieu ? Si j'en crois le verset 10, c'est Jésus. Le serviteur a reçu le nom de Jésus. Et comme Jésus de Nazareth a été connu sous le nom de Jésus tout au long de sa vie terrestre, ce n'est pas un nom qu'il aurait reçu après sa mort, encore moins à cause de sa mort.

Paul ne s'est jamais intéressé à la naissance de Jésus, sinon à sa naissance comme serviteur au service des humains. Et c'est cette mise-au-service qui lui confère le nom de Jésus qui est au-dessus de tout nom et devant lequel tout genou doit fléchir.

Accessoirement vous avez noté que Paul, comme ses contemporains met au même niveau des être célestes, des êtres terrestres et des être souterrains. Les êtres terrestres que nous ne sommes ne sont qu'un des trois mondes où vivraient des créatures de Dieu susceptibles de professer la seigneurie de Jésus Christ.

Car de Christ Jésus au début dans un mouvement descendant vers la condition de serviteur on passe dans l'élévation de Jésus au nom de Jésus Christ.


En guise de conclusion

Heureusement ne sommes nous pas invités à mourir sur une croix

Soyons, agissons en fils et filles de Dieu.

Pour terminer, trois textes nous ont proposé de nous mettre en mouvement.

Paul nous a demandé de vivre en nous et entre nous des mêmes attitudes qu'à eu Jésus ; se mettre au service des autres, nous diriger les uns les autres avec humilité jusqu'à ressentir pleinement la même joie.

Ézéchiel nous a appris qu'on pouvait toujours se convertir vers une pratique de justice, une conduite droite ; et que Dieu nous y précède.

Jésus nous a incités à parler moins et à agir plus, en confiance même avec les personnes rejetées. Il est donc temps que je me taise !

La Bible n'est pas plus précise sur ce qu'est notre chemin, que chacun et chacune le cherche et puisse le trouver.


Amen !


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