Confusions !

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Problèmes de vocabulaire

Si certains mots grecs (abg écrits en rouge) ou hébreux (dgb) écrits en bleu) ne vous semblent pas être correctement affichés, c'est probablement que les polices d'affichage dans ces langues n'existent pas encore sur votre ordinateur. Vous pouvez les charger à cette page de mon site.

Sommaire

Introduction

Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement.

Malheureusement, le poids des habitudes ou la tradition, parfois la fainéantise, font souvent utiliser un vocabulaire approximatif, voire erroné. Le vocabulaire religieux utilisé d'une part dans le monde protestant, d'autre part dans le monde catholique, ne fait malheureusement pas exception à cette règle.

Cet article relève et tente de lever quelques quiproquos de vocabulaire entre ces deux traditions.

Cette page est spécifique à son contexte francophone, elle analyse les mots utilisés en français dans l'une et l'autre tradition et serait intraduisible dans d'autres langues qui n'utilisent pas de tels mots porteurs de tels concepts ; parfois ailleurs les deux traditions religieuses utilisent les mêmes mots, par exemple "prêtre" peut désigner indifféremment les ministres de l'un ou l'autre culte.

Les distinctions sont exacerbées en France pour des raisons légales. Les lois du royaume et celles de l'Empire ont interdit aux protestants d'appeler leurs édifices cultuels 'église" et leurs ministres "évèques". Nécessité faisant loi, nous avons forcé le trait en "inventant" un nouveau vocabulaire, malheureusement pas toujours justifié.


Église et Temple

Utilisation courante

Ces deux termes désignent le lieu du rassemblement dominical des croyants pour la prière commune. Le mot église est plutôt utilisé par les catholiques, tandis que temple est un terme exclusivement utilisé par les protestants.

Origines linguistiques

Le mot français église découle du mot latin ecclesia qui est lui-même un décalque phonétique du mot grec e)kklhsia (ékklèsia), comme si aucun mot d'origine latine n'était disponible pour traduire le concept grec. Ce mot grec signifie "assemblée" avec un préfixe ek "en dehors" (du monde) ; il était utilisé classiquement pour désigner une assemblée de citoyens. Il traduit l'hébreu lhaq@f (qâhal) déjà utilisé dans les livres de la première alliance dans le même sens.

De même le mot français temple vient du latin templum, mot classique désignant l'édifice où on rendait le culte aux dieux ou plus généralement un espace sacré, sur terre ou dans les cieux, permettant de délimiter un espace d'observations pour les présages. Les mots grecs correspondants sont i)eron (hiéron), le temple, et accessoirement naoj (naos) qui en désigne le sanctuaire. En hébreu, on disait lkayh' (héykal).

Sens habituel et réel

Une église est le lieu de rencontre des catholiques le dimanche pour assister à la messe ; c'est aussi (et principalement) le nom de l'organisation regroupant les chrétiens d'une confession.

Le concept grec sous-jacent indique une "assemblée" mise à part du monde (sous-entendu par la divinité). Il s'applique évidemment aussi aux catholiques, mais il insiste sur l'assemblée, sur les personnes rassemblées et non pas sur ce qui se passe dans un bâtiment.

Or la théologie catholique met l'emphase sur l'action, la messe, qui se déroule dans l'édifice. C'est le moment essentiel de célébrer le sacrifice de Jésus sur la croix. Étymologiquement le lieu d'un sacrifice religieux est le "temple". La place de la messe est au temple, la communauté est seconde (même si elle n'est pas secondaire).

Le temple protestant n'est qu'une salle de réunion, l'édifice importe relativement peu, tandis que l'église catholique est, d'une certaine façon, lieu de résidence de Dieu par la présence eucharistique comme le naos grec est le lieu de présence de la divinité.

Même si un temple n'est qu'un bâtiment, vous êtes invité à visiter le temple du Change, ici sur Internet ou sur place à Lyon les samedis après-midi ; vous pouvez aussi parcourir un site dédié aux temples de France, luthériens et réformé.

Tandis que la théologie protestante se focalise sur la communauté rassemblée et non pas sur l'action qui a lieu. Ce qui a lieu dans l'édifice est fondamentalement éphémère : la diffusion et l'explication de la Parole ; ce n'est pas un acte cultuel. La vision protestante de l'Église est celle d'un ensemble de personnes placées sur un même niveau, même si tous n'ont pas la même fonction.

Renversement

Le mot église a donc plutôt un sens protestant. Le mot temple a plutôt un sens catholique.


Messe et Culte

Utilisation courante

Ces deux mots désignent la célébration qui a lieu lors du rassemblement du dimanche. Messe est un terme utilisé par les catholiques, alors que Culte est le terme utilisé par les protestants.

Origines linguistiques

Le mot français messe vient de la locution latine ite missa est par laquelle se termine la célébration dominicale. Ce missa est un participe passé du verte mittere, renvoyer ; il montre une fonction inverse de "ékklèsia" qui signifie un rassemblement.

Le mot français culte sert à traduire les mots grecs latreia (latreia), le service (individuel) aux maîtres ou aux dieux, et leitourgia (leitourgia), le service (collectif) public. La première Bible emploie le mot hébreu hdfwob(j ("âvôdâh) dans le sens du service rendu à Dieu dans le Temple. La traduction latine de Jérome (La Vulgate) utilise parfois le mot obsequium, d'où le français "obsèques", comme si assister au culte était ennuyeux à en mourir.

Sens habituel et réel

Par le ite missa est, le prêtre dit au peuple d'aller, de partir car il y a une mission (missa). Cette messe résume la locution d'envoi en mission des croyants dans le monde. Alors que le mot "messe" désigne habituellement le contenu de la célébration du dimanche, son origine désigne au contraire la sortie de cette célébration vers le monde pour l'évangéliser.

Par le mot culte, le protestant semble mettre l'accent sur le service cultuel rendu à Dieu, donc sur la cérémonie se déroulant au Temple. Or, je l'ai dit plus haut, le protestantisme considère que le rassemblement est éphémère et que sa fonction est, après avoir remercié le Seigneur, de permettre au croyant de repartir, revigoré, tenir sa place de lumière au sein des hommes et des femmes à l'œuvre dans le monde.

Le mot culte renvoie aux offrandes (végétales), éventuellement aux sacrifices (d'animaux), qu'on fait à la divinité. Ceci n'est pas étranger au catholique qui parle du sacrifice de la messe, action du prêtre pour répéter le sacrifice de Jésus sur la croix. Or le protestant considère qu'il n'a rien à donner à son Dieu, mais tout à en recevoir et donc à en rendre grâces.

Le protestant ne fait aucun sacrifice à Dieu, au sens strict, ne lui rend aucun culte. Il part du lieu de rassemblement pour tenir sa place dans le monde.

Renversement

Ainsi, le mot Messe, mission, a donc plutôt un sens protestant. Le mot Culte, sacrifice, a plutôt un sens catholique.


Prêtre et Pasteur

Utilisation courante

Ces deux termes désignent le responsable liturgique de la communauté locale. Prêtre, toujours au masculin, est un terme exclusivement utilisé par les catholiques, tandis que Pasteur, parfois Pasteure au féminin, est le terme utilisé par les protestants.

Origines linguistiques

Un prêtre, dans le sens de celui qui officie au temple, se dit Nh'k@o (kohên) en hébreu, ce qui est devenu un nom de famille très répandu car la prêtrise était héréditaire. On dit i)ereuj (hiérus) en grec et sacerdotos en latin.

Pourtant le mot français vient d'une transformation linguistique d'un autre mot grec presbuteroj (presbutéros) ancien, preuve que le mot français n'a pas le sens qu'on lui prête. Dans sa traduction latine, la Vulgate, Jérome utilise le mot commun senor pour traduire le mot grec dans son sens commun, mais utilise souvent un décalque euphonique presbyter quand il comprend le grec dans un sens spécifiquement religieux chrétien (par exemple Ac 15,2). L'hébreu utilise le nom commun Nq'za(zaqen) dans le même sens que le grec.

Sans surprise le mot français pasteur vient du latin pastor. On dit poimhn (poimèn) en grec et h(aro (ro"êh) en hébreu dans le même sens qu'en français : berger.

Sens habituel et réel

Dans son sens habituel de chargé de présenter les sacrifices au Temple, le terme convient bien au prêtre catholique chargé, entres autres, de représenter le sacrifice de Jésus sur la croix lors de la messe. Remarquons que ce terme n'est utilisé que pour le culte catholique et les cultes antiques, alors que les autre religions ont opté pour un terme spécifique : rabbin, bonze, lama, imam, … et pasteur.

Mais l'étymologie de mot "prêtre" vient, comme indiqué ci-dessus, du mot grec signifiant ancien. Les anciens étaient le plus souvent des vieillards, mais le mot indique souvent les responsables du peuple, ceux qui jugeaient aux portes de la ville comme ceux qui siégeaient au Sanhédrin. Le terme ne désigne pas un homme chargé de culte en raison de sa naissance, mais un responsable choisi parmi le peuple en raison de sa sagesse (supposée venir avec l'âge).

Ce mot ne convient alors plus au prêtre catholique chargé du culte et nommé par l'évêque alors qu'il est souvent assez jeune. Par contre le terme d'ancien convient parfaitement aux responsables locaux des Églises protestantes, choisi(e)s par la communauté (et non par une autorité hiérarchique) pour veiller sur elle. D'ailleurs, selon les dénominations protestantes, le conseil local responsable s'appelle encore aujourd'hui conseil des anciens ou conseil presbytéral.

Le mot pasteur est, lui, utilisé par les protestants pour désigner le responsable de l'animation spirituelle de la communauté locale. Mais le mot renvoie au berger gardien d'un troupeau. Il a une forte résonance évangélique car Jésus lui-même s'est revendiqué berger du troupeau d'Israël. Le mot "pasteur" est compris comme s'appliquant au chef du troupeau chrétien. Or la majorité des protestants, en tout cas les Église historiques, ne conçoit pas le rôle du pasteur comme le chef d'une communauté, mais comme son animateur et son prédicateur. Le responsable de la paroisse est le (la) président(e) du conseil presbytéral élu(e) pas ses pairs.

Par contre, le prêtre catholique se comprend comme étant le responsable d'une paroisse et du peuple (du troupeau) chrétien. C'est la mission qu'il reçoit de son évêque. Lequel évêque est fier de tenir la crosse, insigne de sa fonction, qui est, transformée par les siècles et la mode, une houlette de berger …

Pendant que vous êtes sur ce sujet, allez-donc consulter le site consacré aux pasteur(e)s de l'Église Réformée de France.

Renversement

Ainsi la boucle est bouclée mais en inversant les pratiques de vocabulaire ! Le prêtre catholique est un pasteur, un berger dirigeant sa paroisse et le pasteur protestant est un prêtre, un ancien animant une Église locale.


Conclusion

J'ai voulu montrer que les Églises chrétiennes utilisaient, en français, un vocabulaire inversé, chacun utilisant des mots appartenant sémantiquement au monde de l'autre. Bien sûr, ce n'est pas voulu, mais ces hiatus ne peuvent pas aplanir les difficultés de relation entre confessions.

Avec ça, comment les gens "normaux", ceux qui ne sont pas spécialistes de la religion, pourraient comprendre les enjeux de nos convictions réciproques !



@ de cette page : http://jean-luc.dupaigne.name/fr/chr/confusion.html
Date de création : 30 juillet 2004.
Dernière révision : 24 mars 2005.
Dernière révision technique : 14 novembre 2007.
©Jean-Luc Dupaigne 2004.