Dieu au féminin

Cette prédication a été donnée le 3 avril 2011 au Temple des Terreaux à Lyon. J'avais quitté Lyon au moment de mon départ en retraite, mais cette Église m'a demandé de revenir conduire un culte.

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Sommaire

Les textes bibliques

Pour ce culte, je me suis appuyé sur les textes bibliques suivants que j'ai choisi en fonction du thème retenu.


Esaïe 42,10-16

J'ai retenu le premier texte en raison de son contenu que j'ai trouvé contradictoire ; j'y ai entendu deux voix en une, serez-vous d'accord avec moi ?

Ici comme dans tout le culte, j'ai utilisé le mot ADONAÏ pour remplacer le nom propre de Dieu, le tétragramme qui est présent dans le passage mais qu'il est d'usage de ne pas prononcer.

10 Chantez pour ADONAÏ un chant nouveau, sa louange depuis les extrémités de la terre,  …

13 ADONAÏ s'avance comme un héros ; comme un guerrier il réveille son ardeur. Il lance la clameur, il pousse des cris, il gronde contre ses ennemis.

14 Depuis longtemps je reste calme, je garde le silence, je me contiens ; (maintenant) comme une femme en travail je gémis, je suffoque et je suis haletante.

15 Des montagnes et des collines je ferai un désert, j’en dessécherai toute la verdure ; je changerai les fleuves en îles et je dessécherai les étangs.

16 Je ferai marcher les aveugles sur un chemin qu’ils ne connaissaient pas ; je les conduirai par des sentiers qu’ils ne connaissaient pas. Je changerai devant eux les ténèbres en lumière et le sol accidenté en terrain plat ; c’est bien cela que je ferai, et je ne les abandonnerai pas.


1 Jean 4,6-9

Voici maintenant quatre versets très connus. Mais toute lecture de la Bible peut apporter un nouvel éclairage.

6 Nous, nous sommes de Dieu. Qui s’ouvre à la connaissance de Dieu nous écoute. Qui n’est pas de Dieu ne nous écoute pas. C’est à cela que nous reconnaissons l’esprit de la vérité et l’esprit de l’égarement.

7 Mes bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, car l’amour vient de Dieu, et quiconque aime est né(e) de Dieu et parvient à la connaissance de Dieu. 8 Qui n’aime pas n’a pas découvert Dieu, puisque Dieu est amour.

9 Voici comment s’est manifesté l’amour de Dieu au milieu de nous : Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde, afin que nous vivions par lui.


Luc 13,18-21

18 (Jésus) disait alors : À quoi le règne de Dieu est-il comparable ? À quoi le comparerai-je ? 19 Il est comparable à une graine de moutarde qu’un homme a prise et jetée dans son jardin ; elle pousse, elle devient un arbre, et les oiseaux du ciel habitent dans ses branches.

20 Il dit encore : À quoi comparerai-je le règne de Dieu ? 21 Il est comparable à du levain qu’une femme a pris et introduit dans trois séas (trois mesures) de farine, jusqu’à ce que tout ait levé. »


La Prédication

Frères et Sœurs,

Nécessité et piège des mots

Comment parler de Dieu ? Je suppose que vous pensez majoritairement que la Bible parle de Dieu ; en fait elle parle, le plus souvent, des rapports de Dieu avec les humains, des relations des humains avec Dieu et aussi des histoires entre humains sous le regard de Dieu. Et comme la prédication est le temps de proposer une lecture actuelle de la Bible, elle se doit de parler de Dieu.

Comment dire Dieu ? Dieu n'est pas un objet, une table ou une fleur pour lesquels je dispose de mots précis et vérifiables. Dieu n'est pas un des concepts philosophiques pour lesquels je peux utiliser des phrases, certes moins précises, mais cependant partageables entre nous.

Cela veut-il dire que j'arrête ici ma prédication faute de savoir parler de Dieu ? Non bien sûr, mais toute expression est piégée par les mots utilisés, les images sont entièrement dépendantes d'une langue, d'une culture qui est la mienne et que j'essaye à chaque fois d'adapter à mon auditoire.

Le prédicateur se doit de parler et n'a pas la certitude d'être clair et compris. Alors il est obligé d'employer des images. Justement, si je ferme les yeux pour penser à Dieu, ce sont d'abord des images qui défilent. Malgré Calvin qui a banni les peintures et sculptures utilisées jusqu'alors dans les églises pour dire Dieu, des images traversent mon cerveau.

Lesquelles ? Par exemple celle qui figure en tête de la feuille de culte, celle d'un vieillard barbu se penchant avec colère ou attention sur le monde qu'Il a créé en se demandant parfois pourquoi il ne tourne pas rond et en paix. J'ai naturellement l'image d'un homme (naturellement ou culturellement ?) ; d'ailleurs si j'utilise un pronom personnel pour le nommer, je vais dire il, par exemple : Dieu a créé l'univers, IL a fait l'homme à son image.

Je sais, Dieu est un pur esprit, Il n'est ni homme, ni femme. Mais pourquoi toutes les images utilisées communément pour Dieu seraient celles d'un homme ? Pourquoi dire Il quand je parle de Lui ? Vous allez me dire que Il est un neutre, mais il n'y a pas de neutre en français ; homosexuel(le) ou hétérosexuel(le), un homme est un homme et une femme est une femme. Il n'y a pas de neutre parmi les êtres vivants, sauf peut-être les vers de terre. D'ailleurs si je prie God en anglais, langue qui possède un neutre grammatical, je dis he (pronom masculin) et non pas it (pronom neutre).

La majorité d'entre vous, je le suppose, voudrait me dire que cela n'a aucune importance, qu'on sait que Dieu n'est pas un homme et qu'utiliser Il pour Le désigner d'a pas d'influence sur la manière dont on pense sa relation à Dieu. Voire ! Les philologues nous apprennent que la langue disponible pour exprimer une idée façonne cette idée même ; c'est pourquoi pour comprendre la Bible, un détour par l'hébreu et le grec est souvent pertinent quand on veut interpréter nos textes fondateurs.

C'est d'ailleurs le moment d'enfin y venir.

Esaïe 42

Le chapitre 42 du livre d'Esaïe commence par le premier chant du serviteur, passage qui a été interprété par les Pères de l'Église comme une prophétie christique. Il continue en un chant nouveau, c'est ce qui est écrit au verset 10 ; en quoi est-il nouveau ?

Le verset 13 ne me semble pas particulièrement novateur. ADONAÏ est un héros, un va-t-en-guerre qui gueule contre ses ennemis. Est-ce là le nouveau cantique annoncé, un chant de guerre, la Marseillaise du sixième siècle avant notre ère en Judée ?

Le verset 15 est dans la même tonalité, Dieu va transformer en désert les montagnes et les collines du territoire de ses ennemis. Les étangs seront asséchés et le flot des rivières sera tellement réduit qu'on verra des iles dans le lit des fleuves réduits à l'état de ruisseaux au lieu d'avoir un cours large et tumultueux.

Voici des images patriarcales d'un Dieu fort. Car un guerrier ne peut être qu'un homme ; celui qui veut priver d'eaux les humains, les animaux et les végétaux par vengeance ne peut être qu'un homme.

Pourtant entre ces bruits et à l'intérieur de cette fureur masculine, le verset 14 tranche. Au verset précédent, Esaïe fait agir Dieu à la troisième personne du singulier, maintenant c'est en Je que Dieu parle.

Il s'agit bien de Dieu, et non pas du prophète qui se placerait dans le texte et parlerait en je, d'ailleurs hormis au chapitre 6 qui décrit la vocation d'Esaïe je vis, j'entendis les apparitions explicites du prophète sont à la troisième personne.

Contrairement à la fureur de la guerre je reste calme ; à l'opposé de la clameur et des cris je garde silence ; il gronde mais je me contiens. Ce qui suit est encore plus étonnant et justifie le changement de ton, c'est la seconde partie du verset 14 où il est question d'une femme en train d'accoucher dans la douleur.

Car mon grand-père Jean Dupaigne n'avait pas encore inventé ou importé l'administration par piqure de substances opiacées aux femmes parturientes, ce qu'il fit à la fin du XIXème siècle et exposa le 28 août 1900 devant l'Académie de Médecine qui, n'étant composée que d'hommes, n'en a tenu aucun compte.

La femme gémit de douleur, mais elle reste discrète comme il sied à une femme, elle ne pousse pas de grands cris comme le guerrier, elle halète comme une petite chienne, c'est ce qu'on m'a appris lorsque j'accompagnais la mère de mes enfants aux cours de préparation à l'accouchement.

Que fera ensuite cette femme ? Le verset 16 nous l'indique, elle guidera les aveugles.

Je ne sais pas s'il avait déjà des chiens d'aveugles en Judée à cette époque reculée mais il est curieux de voir une continuité indirecte entre les versets 14 et 16, entre la femme haletante comme un chien et la femme qui guide les nonvoyants comme un chien d'aveugle.

Car pour moi c'est bien la femme qui guidera les aveugles sur les chemins. Le prophète insiste deux fois chemins qu'ils ne connaissent pas et sentiers qu'ils ne connaissent pas. La guide est indispensable pour conduire les hommes handicapés, pour aplanir le sol accidenté, promesse ou commandement repris plus tard par le dernier prophète, Jean le Baptiste.

Voilà bien le chant nouveau annoncé au verset 10. Dieu est aussi comparable à une femme qui donne la vie lors de son accouchement et qui transformera la vie des hommes et changera les ténèbres en lumière. C'est pourquoi sur la feuille d'annonce à gauche du texte d'Esaïe, j'ai mis une photographie d'une femme enceinte prise dans un clair obscur qui met en valeur la lumière sortie de l'ombre.

Mais je n'oppose pas cette image féminine de Dieu à l'image masculine précédente du guerrier. Je les lis entremêlées, l'homme en 13 et 15, la femme en 14 et 16. Le prophète ne les compare pas, il les tisse ensemble.

Jean

Dans sa première épître, Jean nous parle d'amour. Plus précisément d'amour entre chrétiens parce que cet amour et la force d'aimer viennent de Dieu. Je pourrais sortir un poncif sur l'amour maternel mis en œuvre par Dieu, mais les brillants hellénistes qui sont parmi vous diront que le verbe utilisé ici est agapaw, le substantif agaph et l'adjectif agapatov. Cette racine est un terme technique de la Bible chrétienne pas ou peu utilisé dans le grec classique qui utilise prioritairement le verbe filew et ses dérivés pour l'affection humaine et erov pour les relations physiques entre homme et femme … ou entre hommes ou entre femmes.

Cet amour n'est pas anodin, non seulement il vient de Dieu (milieu du verset 7), mais cet amour est Dieu (fin du verset 8). Avec cette seconde proposition, l'auteur de l'épître indique qu'amour est un des noms de Dieu, un des 99 attributs de Dieu comme dirait un musulman ou un israélite. Le verbe grec estin indique une identité entre Dieu et cet amour.

Mais dans la première expression l'amour vient de Dieu, il y a la préposition ek qui indique une provenance ; j'aurais pu faire lire l'amour est de Dieu, mais j'ai préféré être plus explicite l'amour vient de Dieu, j'ai même hésité avec l'amour sort de Dieu. Cette préposition ek se retrouve aussi dans la seconde partie du verset 7 quiconque aime est né(e) de Dieu, ek tou qeou.

Et comment pouvons-nous sortir de Dieu, comment pourrions-nous sortir d'une image masculine de Dieu ? Le texte indique que nous sommes, ou nous sommes appelés à être, peu importe aujourd'hui, né(e) de Dieu. Le verbe grec est gennaw qu'on peut traduire par engendrer ou faire naître, c'est un verbe actif.

Bien des commentateurs ont voulu sauver les apparences et parler de filiation spirituelle qui permettrait de conserver une image d'un Dieu avec barbe et cheveux blancs. Non, le texte renvoie explicitement à une image d'accouchement où Dieu sort de ses entrailles d'une part l'amour, d'autre part nous comme humains capables d'amour.

Jésus de Nazareth l'a été singulièrement, mais nous aussi sommes appelés à être fils de Dieu. Au futur, nous serons appelés fils de Dieu quand nous serons des artisans de paix, selon les béatitudes de Matthieu (5,9), et déjà au présent selon Paul dans la lettre aux Galates (3,26) vous êtes tous, par la foi, fils de Dieu en Jésus-Christ.

Je lis ici, mais vous n'êtes pas obligés de me suivre, une image maternelle de Dieu nous enfantant dans l'amour partagé entre frères et sœurs au sein de la communauté chrétienne, et plus largement frères et sœurs en humanité.

Luc

Le texte de Luc ne demande pas une analyse subtile dans mon optique aujourd'hui. L'évangéliste raconte deux paraboles où Jésus explique ce qu'est, le règne de Dieu ou comment comprendre le royaume de Dieu. Je ne veux pas maintenant parler du fond de cette question, mais simplement de la forme.

Nous voyons deux paraboles, petites paraboles, microscopiques même puisqu'il s'agit d'une toute petite graine d'un arbuste et d'une petite quantité de levure. Quels en sont les acteurs ? Si vous me répondez un homme pour la première et une femme pour la seconde, vous aurez raison et tort. Raison car c'est bien un homme et une femme qui sont indiqués comme sujet des verbes ; et tort car en bons protestants, vous savez que ce n'est pas par nos œuvres que grandit le Règne de Dieu, mais par la seule action de Dieu lui-même que nous nous efforçons d'accompagner. Sola fide et non pas œuvres humaines.

Ainsi c'est Dieu seul qui fait pousser son Règne et qui fait lever son Royaume ! Les deux paraboles de Luc nous expliquent comment Dieu seul fait pousser et lever sa seigneurie. Et Jésus, qui savait de quoi il parlait, emploie deux images pour parler de Dieu comme acteur, celle d'un homme et celle d'une femme, dans une égalité et une symétrie rigoureuse, deux images en vis-à-vis qui expriment ensemble la totalité de l'Être divin.

Remarquez que l'homme se contente de jeter rapidement une graine de moins d'un gramme, il ne la plante même pas, tandis que la femme pétrit la farine avec le levain, ce qui prend du temps. Moi je mets un sachet de 5,5 grammes de levure pour 500 grammes de farine, mais ici elle utilise 3 mesures soit 36 litres de farine ou un peu plus de 23 kg si j'en crois le doseur que j'ai à la maison pour faire la cuisine ; elle ajoute donc de l'eau et 250 gr de levain à sa pâte pour faire 88 flutes de 400 grammes. Encore une fois, c'est la femme qui travaille plus que l'homme !

Aujourd'hui

Est-ce que tout cela est essentiel ? La réponse est non, nous n'avons pas besoin de mettre en évidence des images féminines ou maternelle de Dieu dans la Bible pour savoir que Dieu n'est pas un homme. Mais quand même … nous avons tous et toutes besoin pour vivre d'un équilibre entre les pôles masculin et féminin de l'humanité. Adultes nous avons besoin d'un vis-à-vis qui nous soit assorti (Genèse 2,18) ; et il n'est pas facile de se retrouver seul(e), qu'on soit veuf, veuve, séparé(e) ou divorcé(e). Enfant nous avons eu besoin d'une image paternelle et d'une image maternelle pour nous construire en voyant vivre ensemble une complémentarité.

Quand je dis cela pendant le week-end du Sidaction, je ne préjuge absolument pas de qui doit représenter ces figures emblématiques pour chaque enfant : parents biologiques ou parents adoptant, parrain, marraine, nouveau conjoint, nouvelle conjointe ou maitre spirituel(le). Je ne dis pas qu'un enfant ne doit être accueilli que dans une famille hétérosexuelle, je dis qu'on a besoin de deux points de vue sexués pour devenir adulte, développement qui ne s'achèvera qu'avec la mort.

Est-ce que les textes bibliques que je vous ai proposés et commentés sont anecdotiques dans la Bible et ais-je dû prendre un microscope pour les trouver ? Non, et d'ailleurs j'ai parsemé dans les prières de la liturgie d'autres textes où les auteurs bibliques ont exprimé un agir masculin ou paternel et un agir féminin ou maternel de Dieu.

Quel est le risque quand on ignore le coté maternel de Dieu ? Il me semble qu'on peut en voir un développement pervers au sein d'une autre grande confession chrétienne. Ils expriment une vision très mâle de Dieu, créateur avec le Père et recréateur avec le Christ, juge ou justicier dans l'au-delà, exclusivement masculin dans le pouvoir et dans sa hiérarchie.

Or ces chrétiens ont aussi comme nous besoin d'une image féminine et certains ont tendance à vivre une spiritualité qui mette en avant une parèdre, une quasi-déesse assise près de Dieu comme l'était Héra près de Zeus dans l'Olympe grec, Junon près de Jupiter dans le panthéon romain, Tefnout près de Shou en Égypte, Sarasvatî auprès de Brahma dans l'indouisme.

Je sais qu'aucun de leurs théologiens ne prétend que Marie est à l'égal de Dieu, je constate cependant que la spiritualité personnelle de beaucoup de ces croyants exprime un rôle particulier de la mère de Jésus auprès de Dieu et que certains très influents ont été tentés de lui donner le titre de co-rédemptrice. D'une formule orthodoxe Marie mère du fils de Dieu (c'est à-dire de Jésus), le concile d'Éphèse en 431 est allé jusqu'à retenir l'expression mère de Dieu (qéodokov), comme si notre Dieu avait besoin d'une mère !

À gommer le coté féminin de Dieu, certains peuvent être amenés à personnifier leur besoin légitime d'une affection maternelle, ce qui peut conduire à un dualisme divin qui me semble contraire à la foi judéo-chrétienne.

Conclusion

Frères et sœurs,

Je voulais aujourd'hui par cette mise en valeur de certains textes bibliques vous rendre sensibles à un regard inhabituel que nous pouvons porter sur Dieu, mais regard autorisé par la foi des croyants qui nous ont précédés et qui ont aussi exprimé dans la Bible une relation féminine et maternelle de Dieu avec l'humanité.

Amen !


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Date de création : 5 mao 2011.
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