Emmaüs Luc 24,13-35

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Sommaire

Le texte biblique

Présentation

Le texte que je vous offre de lire et commenter est un des récits montrant la présence de Jésus parmi ses disciples après sa crucifixion.

C'est le texte d'une prédication que j'ai faite le 14 avril 2002 au temple du Change à Lyon, de retour d'un voyage en Palestine.

Il se situe au premier jour de la semaine après la mort de Jésus, le dimanche de Pâque. Luc vient de parler de femmes qui ont reçu au tombeau l'annonce que Jésus est vivant et d'hommes qui n'ont pas compris de message.

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Luc 24,13-35

Ce même jour, deux d'entre eux allaient à un village nommé Emmaüs, distant de Jérusalem de soixante stades.

Ils s'entretenaient de tout ce qui s'était passé.

Pendant qu'ils s'entretenaient et discutaient, Jésus lui-même s'approcha et fit route avec eux

mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître.

Il leur dit :

 

"Quels sont ces propos que vous échangez en marchant ?"

Alors ils s'arrêtèrent, l'air attristé ;

l'un d'eux, nommé Cléopas, lui répondit :

 

"Es-tu le seul qui séjourne à Jérusalem et ne sache pas ce qui s'y est passé ces jours-ci ?"

---

 

"Quoi donc ?"

Ils lui répondirent :

 

"Cela concerne Jésus de Nazareth.

Il était un prophète, agissant avec force par des actes et des paroles, face à Dieu et face au peuple.

Les grands prêtres et nos chefs l'ont livré pour le faire condamner à mort et ils l'ont crucifié.

Or nous, nous espérions qu'il était celui qui allait délivrer Israël.

Mais, en plus de tout cela, voici le troisième jour que ces faits se sont passés.

Toutefois, quelques femmes qui sont des nôtres ont jeté le trouble parmi nous.

S'étant rendues de grand matin au tombeau et n'y ayant pas trouvé son corps, elles sont revenues nous dire

 

qu'elles ont même eu la vision d'anges

 

qui ont déclaré

 

qu'il est vivant.

 

Quelques-uns des nôtres sont allés au tombeau et ils ont trouvé les choses comme les femmes l'avaient dit ;

mais lui, ils ne l'ont point vu."

Alors Jésus leur dit :

 

Gens sans intelligence, cœurs lents à croire tout ce qu'ont déclaré les prophètes !

Ne fallait-il pas que le Christ endurât ces souffrances et qu'il entrât dans sa gloire ?

Et, commençant par Moïse et poursuivant par tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Écritures

 

ce qui le concernait.

Lorsqu'ils furent près du village où ils allaient, Jésus fit comme s'il allait plus loin.

Ils le pressèrent de s'arrêter, disant :

 

"Reste avec nous, car voici le soir, et le jour a déjà baissé"

Et il entra pour rester avec eux.

Or, quand il se fut mis à table avec eux, il prit le pain, prononça la prière de bénédiction, le rompit et le leur donna.

Alors leurs yeux furent ouverts et ils le reconnurent, mais il disparut de devant eux.

Ils se dirent l'un à. l'autre :

 

"Notre cœur n'était-il pas tout brûlant au-dedans de nous, lorsqu'il nous parlait en chemin et qu'il nous expliquait les Écritures ?"

Ils se levèrent aussitôt et retournèrent à Jérusalem.

Ils trouvèrent réunis les Onze et leurs compagnons qui leur dirent :

 

"C'est bien vrai !

Le Seigneur a été réveillé de la mort !

Il est apparu à Simon".

Et eux racontèrent

 

ce qui s'était passé sur la route

et comment il s'était fait reconnaître, quand il avait partagé le pain.

Traduction par mes soins. Retour au début de l'article sur le voyage à Emmaüs

Commentaire

Introduction

Pour aborder ce texte, je vous propose de poser le cadre géographique, ensuite de regarder qui sont les voyageurs, puis nous regarderons une signification possible du texte pour nous aujourd'hui.

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Le cadre géographique

Dès le premier verset, nous savons qu'il s'agit d'un voyage de Jérusalem à un village nommé Emmaüs. Ce n'est pas un long voyage, puisque le texte nous parle de soixante stades.

Le stade d'Olympie où se disputaient les courses à pied servait de référence pour les distances, il mesurait un peu moins de 200 mètres de long.

La distance à parcourir par les voyageurs était de moins de 60 fois 200 mètres, environ 12 kilomètres, soit du Temple du Change à DARDILLY, au Nord, ou GRÉZIEU (après CRAPONNE), à l'ouest, ou VERNAISON (au sud) ou l'aéroport de BRON (à l'est). Cela représentait une petite distance pour l'époque où on était habitué à marcher. Il fallait environ deux heures pour la parcourir dans les collines vallonnées de la Judée autour de Jérusalem.

Plusieurs lieux se disputent l'honneur d'être le village aujourd'hui disparu d'Emmaüs. Le plus probable est EL-QOUBEILBÈH à une dizaine de kilomètres au nord-ouest de la vieille ville.

Mais d'autres préfèrent ABOU GOSH au sud-ouest vers Bethléem sur un site actuellement occupé par la colonie de GILO construite illégalement en territoire palestinien au-delà de la frontière reconnue de 1967.

Cependant les orthodoxes penchent plutôt pour le site de AMOUÂS près de la bourgade actuelle de LATROUM à 25 kilomètre au Nord-Ouest de Jérusalem car elle est citée dans le livre des Maccabées comme le lieu d'une importante victoire remportée en 165 avant l'ère chrétienne par Judas MACCABÉE contre l'armée syrienne d'ANTIOCHIUS IV. Cependant ce choix oblige de corriger le texte de Luc, comme le font certains manuscrits tardifs, pour y lire 160 stades au lieu de 60. La symbolique de ce lieu est peut-être alors de relier la bataille de Jésus contre la mort à celle des juifs contre l'occupant, alors grec, qui personnalisait la mort.

Si nous ne savons pas où vont les voyageurs, nous savons que le trajet a été fait à pied, puisque Jésus pose la question : "Quels sont les propos que vous échangiez en marchant ?".

À l'époque, comme aujourd'hui, la Palestine était un pays occupé par des forces étrangères. Même sur une distance aussi courte, ils ont dû traverser plusieurs contrôles militaires, le premier à la porte de la Ville, au moins un autre à mi-trajet et un autre à l'entrée d'Emmaüs ; en effet, il y a actuellement un barrage tous les 5 kilomètres environ dans les territoires occupés par Israël.

S'ils avaient quelques bagages, les voyageurs devaient marcher avec un âne bâté. À chaque barrage, il faut décharger l'âne, le laisse de ce coté-ci puisque la route est physiquement barrée par des blocs de béton ou une levée de terre pour interdire le passage des véhicules, pardon des ânes. Il faut ensuite porter la charge à dos d'homme de l'autre coté du poste, montrer ses papiers d'identité, éventuellement subir la fouille au corps. Là on peut louer un âne taxi et le charger pour aller jusqu'au contrôle suivant et ainsi de suite jusqu'à destination à Emmaüs.

Bref les deux heures nécessaires ont pu durer toute l'après-midi et déjà le jour se couche quand ils arrivent à destination.

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Deux d'entre eux

Second sujet, que savons-nous des marcheurs de cette histoire ?

Luc nous parle de "deux d'entre eux". Ce "eux" désignent ceux et celles dont il est question avant le passage lu, c'est-à-dire d'une part les femmes, les trois nommées "Marie de Magdala, Jeanne et Marie épouse de Jacques" mais aussi "leurs compagnes" qui ont cru en Jésus vivant, et d'autre part les hommes, "les Onze" choisis initialement par Jésus et "tous les autres" qui n'y croyaient pas. Je ne sais pas si la distinction homme et femme est toujours significative en matière de foi religieuse, en tout cas elle l'est ici pour Luc qui insiste sur la différence.

Bande dessinée de catéchisme

Ces "deux d'entre eux" cheminaient ... probablement que vous avez eu intuitivement l'image de deux hommes sur le chemin ; d'ailleurs toutes les peintures et toutes les sculptures que j'ai trouvé sur Internet au mot clé "Emmaüs" montrent deux hommes.

Où vont ces gens ? Là aussi les commentateurs anciens et modernes disent presque unanimement "à l'auberge", ce qui indique que les deux voyageurs allaient plus loin et qu'Emmaüs n'était qu'une première étape sur leur longue route, par exemple pour rentrer en Galilée.

Mais si vous avez plusieurs jours de marche à faire et que vous êtres entraînés comme tous l'étaient alors, allez-vous partir en fin d'après-midi pour une première étape de deux heures, puis repartir le lendemain  pour une étape complète ? Bien sûr que non, on part le matin du premier jour pour une longue étape en profitant qu'on n'est pas encore fatigué par la marche et on réduit un peu chaque jour la distance.

Ce cadre d'une première étape et de l'auberge ne cadre pas avec ce que nous savons. De plus les deux insistent pour que l'inconnu reste avec eux ce soir-là et probablement cette nuit. Certes les juifs étaient très hospitaliers, enfin ceux de l'époque, maintenant c'est beaucoup moins sûr, mais on insiste pour inviter quelqu'un chez soi, pas à l'auberge !

Donc pour moi, les deux voyageurs vont chez eux dans ce village d'Emmaüs près de Jérusalem. Ils ont passé la matinée avec le groupe des disciples à ruminer leur désespoir après la mort de leur prophète et à discuter de l'annonce étonnante des femmes, annonce non confirmée par les hommes.

Pourquoi pas, pensez-vous en vous demandant où je veux en venir, il s'agit de deux hommes, deux voisins du même village qui rentrent chez eux de concert. Peut-être ... mais non ! Car il est écrit qu'ils invitent Jésus "chez eux", pas chez l'un d'eux. Ces deux-là vivent ensemble et ils invitent l'inconnu chez eux pour le repas et la nuit.

Oh, là, là, vous entends-je penser ! Voilà qu'il nous dit que les deux disciples d'Emmaüs sont deux homosexuels qui habitent ensemble et qui faisaient partie du cercle des disciples de Jésus. Il veut utiliser ce texte pour entamer le débat demandé lors du dernier synode national sur la place des pasteurs homosexuels, des pasteures homosexuelles et sur la bénédiction des couples pacsés !

Rassurez-vous, je ne parle que de la péricope des pèlerins d'Emmaüs ; la chaire de prédication n'est pas le lieu des débats.

Que savons-nous d'autre ? Luc nous écrit que l'un d'eux s'appelle Cléopas et que l'autre n'est pas nommé.

Cette différence dénote une inégalité entre eux deux, probablement une inégalité sociale, on peut imaginer que le second est le serviteur du premier ou son fils, ce qui justifierait, pour l'époque, la différence d'appellation. Mais l'inconnu, lui, ne fait pas de différence entre eux lorsqu'il leur explique les Écritures ou partage le pain avec eux, ce qui élimine l'hypothèse du serviteur.

On n'est pas beaucoup plus avancé !

Par ailleurs, on ne trouve pas d'autre mention de ce Cléopas dans la Bible. Cependant l'évangéliste Jean, au chapitre 19, verset 25, parle d'une femme qui est restée près de la croix où meurt Jésus. Elle est avec Marie la mère de Jésus et Marie de Magdala, encore elles, quand les hommes, à l'exception du disciple bien aimé, sont partis apeurés et désespérés.

Restée avec les femmes qui suivent Jésus jusqu'à sa mort, cette femme pourrait aussi faire partie des femmes qui, selon Luc, sont allés au tombeau le dimanche matin, qui ont vu les anges, les messagers, et qui ont cru que Jésus est vivant.

Cette femme n'est pas nommée par Jean, ce qui est assez fréquent pour l'époque, mais le texte indique qu'elle est l'épouse d'un certain ... Clopas.

Clopas, selon Jean, Cléopas, selon Luc ! Écrivant 30 ou 50 ans après les faits, un des évangélistes a pu faire une faire d'orthographe ou avoir un trou de mémoire, ou plus simplement avoir hellénisé un nom araméen.

Il me plait à penser que ces deux Clopas et Cléopas ne sont qu'un. Voici l'épouse de Clopas / Cléopas debout auprès de Jésus mort et Cléopas / Clopas marchant sans le savoir auprès de Jésus ressuscité avec ... son épouse.

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Un couple croyant et incroyant

Par ce long détour je vous propose de réinterpréter le texte de Luc en prenant pour hypothèse plausible qu'un époux et son épouse marchaient de Jérusalem à Emmaüs et qu'ils ont fait ensemble une expérience de Jésus le ressuscité.

Mais qu'est ce que cela change dans l'histoire ?

Ceci explique que les deux voyageurs puissent inviter l'inconnu chez eux pour le souper et la nuit avant qu'il reparte sur la route le lendemain. Sans qu'il soit besoin de parler d'homosexualité !

Cela explique que le second voyageur n'est pas nommé ; elle n'est que l'épouse de son mari. Enfin c'était comme cela qu'on pensait à cette époque !

Cela permet de comprendre que le couple de voyageurs se situe dans la même opposition que celle formulée dans le passage précédent où les femmes ont l'illumination de Jésus vivant et où les hommes renâclent à croire l'incroyable.

Ce couple de marcheurs est en désaccord total, elle comme les autres femmes avait cru en cette nouvelle bouleversante ; lui, comme les autres hommes, ne pouvait pas accepter cette aberration. Et chemin faisant, il et elle discutent de ce qui était passé.

En fait, ils se disputent comme l'indique le verset 17 dont nous avons lu tout à l'heure une version édulcorée. Une traduction plus fidèle pourrait être "Quelles sont les paroles que vous lanciez entre vous en marchant ?". Ce verbe "lancer" évoque plus des flèches, des propos acérés que des arguments policés.

Les couples qui ont parfois des discussions vives me comprendront.

Chacun est arc-bouté sur ses positions, aussi ne sont-ils pas disponibles pour l'inconnu qui passe par-là, qui surgit de nulle part. Quand on veut absolument convaincre, on ne peut pas accueillir la nouveauté.

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Jésus, un prophète

La nouveauté est cet inconnu qu'il et elle voient sans le voir. Il est temps de nous demander qui il est, et d'abord qui il était aux yeux des marcheurs.

Cléopas croit que Jésus était, et le passé est important, que Jésus était un prophète, c'est ce qu'il dit au verset 19. La formulation est tellement stéréotypée que les spécialistes la reconnaissent comme la reprise mot à mot d'une liturgie et d'une catéchèse de l'Église primitive.

Jésus est de Nazareth, remarquez qu'on ne fait pas encore référence à une naissance à Bethléem, la ville du roi David établissant la messianité de Jésus ; on parle du lieu de vie.

L'action de Jésus a de la force, en grec dynamis ; il est donc dynamique, voire il est de la dynamite puisqu'il agit avec force.

Cette force se traduit par des actes et des paroles. Jésus ne s'est pas contenté de bien prêcher, de discourir, comme moi, ni même de bien parler du royaume de Celui qu'il appelait son père. Jésus a montré sa force par des actes, il s'agit sans doute ici des signes, ce que nous appelons des miracles, des guérisons. Plus généralement, il s'agit de toutes les actions qui permettent aux pauvres, aux exclus de rentrer dans la communauté humaine.

Ces actes ont été faits et ces paroles ont été dites face à Dieu et face au peuple. Le "face au peuple" indique que Jésus n'agissait pas en secret, mais en public, et donc que tout cela est connu de tous les juifs de l'époque. Les lecteurs de Luc peuvent donc vérifier cela auprès des témoins alors encore vivants.

Le "face à Dieu" indique que Jésus avait une proximité particulière avec Dieu. Rappelons-nous que selon l'Exode, "nul ne peut voir la face de Dieu sans mourir". Au contraire le Jésus de l'histoire pouvait se tenir face à face avec Dieu, lui parler et le prier. Et ce dialogue permanent étonnait ceux qui approchaient Jésus à tel point qu'il en devenait une marque d'identification. Cette spiritualité de Jésus marquait tellement ses disciples qu'ils y ont lu une reconnaissance filiale.

Luc, via Cléopas, continue sa catéchèse en disant que ce sont les grands prêtres et les chefs juifs qui ont fait condamner Jésus à mort. Ici il ne s'agit pas d'accuser tout le peuple juif, mais seulement ses dirigeants qui ont refusé de se laisser bousculer par le message de cet homme dérangeant.

Le verset suivant indique que les disciples espéraient que Jésus "était celui qui allait délivrer Israël". Une grande partie des juifs d'alors, je veux dire le peuple et les pharisiens contrairement aux chefs religieux dont il était question auparavant, ... les juifs attendaient un messie qui expulse les occupants, les mécréants de la terre de Canaan.

Et les disciples qui avaient marché sur les routes de Galilée et de Judée avec Jésus le voyaient comme un libérateur politique, pour certains comme celui qui allait organiser le soulèvement du peuple contre l'armée d'occupation, pour d'autres comme celui qui allait convoquer une armée divine d'envoyés célestes qui nettoieraient le pays des impies.

Mais il ne s'était rien passé et Jésus était mort assassiné depuis trois jours !

Donc un certain nombre de disciples, probablement tous avant Pâque, considéraient Jésus uniquement comme un prophète. Uniquement est un peu trop péjoratif, car c'est déjà une mission essentielle d'être désigné par Dieu comme devant parler en son nom. C'est déjà une lourde responsabilité qui vous rend impopulaire à force de parler à temps et à contre temps des exigences de justice que Dieu a envers ceux qui se réclament de Lui. D'ailleurs tous les prophètes n'ont-ils pas été tués à cause de leurs actes et de leurs paroles, précisément à Jérusalem ?

Cette croyance en un Jésus prophète, possiblement messianique, a été importante parmi certains courants du judaïsme et ce n'est parfois que tardivement que s'est imposée l'idée que Jésus n'était pas qu'un prophète et qu'il n'était pas définitivement mort.

En tout cas, Cléopas, l'homme du couple, ne croit que cela, même si le matin il a entendu dire que Jésus était vivant.

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Jésus, le vivant

Regardons comment, avec l'épouse, le texte nous suggère une autre lecture des événements de Jérusalem. Nous lisons que Luc a écrit que Cléopas a dit que des femmes ont dit qu'elles avaient vu des anges, c'est-à-dire des envoyés de Dieu, qui avaient déclaré que Jésus était vivant après sa mort.

Cela n'est pas spécialement un témoignage direct ! Reprenons la chaîne des intervenants : Je, vous, nous lisons que

  1. Luc a écrit que ...
  2. Cléopas a dit que ...
  3. des femmes, et ce ne sont que des femmes qui n'avaient pas le droit de témoigner en justice, ... des femmes ont raconté ...
  4. qu'elles avaient vu ...
  5. des anges, je n'ai pas non plus de souvenir que des anges aient accepté de témoigner devant une cour de justice, ... des anges avaient déclaré que ...
  6. Jésus était vivant.

On me demande de croire l'incroyable, que Jésus est vivant, en passant par une chaîne de 6 témoignages indirects. Y suis-je prêt ? ... En tout cas Cléopas n'y croit pas, d'ailleurs les apôtres, des hommes eux au moins, n'ont rien vu ; et ça c'est sérieux, c'est du journalisme !

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La dernière prédication

En continuant la lecture, nous cherchons à savoir ce que Jésus dit de lui-même. Nous qui avons la chance de connaître la fin de l'histoire, contrairement au couple de marcheurs, savons que l'inconnu est le ressuscité et qu'il fait ici une dernière prédication en commentant les Écritures, c'est-à-dire la Bible de la première alliance.

Jésus dit deux choses.

La première est clairement indiquée : "Ne fallait-il pas que le Christ endurât ces souffrances et qu'il entrât dans sa gloire". Cette phrase est l'élément central du récit, le cœur du message de l'évangéliste ; il fallait justifier la nécessité de la souffrance qui ne semblait déjà pas évidente à tout le monde !

Remarquons d'abord qu'il n'y a pas de causalité entre ces deux propositions, souffrir et être glorifié. Dieu n'avait pas besoin de la souffrance de Jésus pour lui donner sa place de ressuscité.

Il faut surtout entendre le mot Christ dit par cet inconnu que nous sommes invités à reconnaître comme Jésus. C'est la première fois que Luc met ce mot dans la bouche de Jésus. Auparavant, un démon avait reconnu le Christ en Jésus, mais ce dernier lui avait commandé de se taire ; un jour, Pierre l'avait aussi confessé, mais Jésus lui avait ordonné le silence ; le sanhédrin, Pilate, des chefs et un malfaiteur en croix lui demandent s'il est le Christ ou l'insultent en le traitant de Christ, mais sans réponse de Jésus.

Ici Jésus cite les Écritures qui parleraient de lui comme Christ, comme le Messie attendu par Israël. C'est une appropriation du titre messianique, mais qui reste indirect ; plus que lui, ce sont les Écritures qui l'affirment. Mais ce n'est qu'après la mort et par sa transformation en un nouveau vivant que Jésus accepte ce titre messianique. C'est d'ailleurs la conclusion du discours de Pierre que nous avons lu tout à l'heure dans les Actes : "Ce Jésus, cet homme que vous avez crucifié, Dieu l'a fait Seigneur et Christ".

La seconde partie de la prédication du vivant porte sur les Écritures. Jésus explique comment elles annonçaient le Christ et particulièrement un Christ souffrant. Nous aimerions bien connaître ses arguments qui pourraient servir aujourd'hui à bon nombre de prédicateurs. Paul le dira lui-même dans la première lettre aux Corinthiens, cette idée de la nécessité d'un sauveur qui souffre est "un scandale pour les israélites et une folie pour les nations". Mais justement, Luc ne nous dit rien de cette prédication.

Nous avons entendu un exemple de réinterprétation des Écritures dans la première lecture quand Pierre parlait aux juifs. Rappelez-vous : un psalmiste, supposé être David, dit à Dieu sa certitude de ne pas être abandonné à la mort ; comme il est mort, c'est qu'il ne parlait pas de lui, mais du messie à venir ; donc il annonçait la résurrection de Jésus. La logique de l'argumentation ne me paraît pas évidente et un cartésien comme moi a du mal à être touché par le raisonnement.

C'est cependant une démarche que nous sommes personnellement appelés à accomplir à chaque fois que nous ouvrons la Bible. Nous avons à la réinterpréter. D'abord pour comprendre la continuité entre la première Alliance, celle du judaïsme, et la seconde, celle du christianisme ; mais surtout pour découvrir la relation entre les actes et paroles de Jésus, de ces disciples et ce que l'Esprit de Dieu nous suggère de faire et de dire aujourd'hui pour signifier, pour rendre Jésus vivant dans le monde.

Pendant cette prédication de l'inconnu les marcheurs ont senti leur cœur tout brûlant au-dedans d'eux. Ils n'ont pas pu mettre un nom sur cette chaleur, ils ne l'ont pas alors explicitement reconnu. Mais ils ont ressenti un apaisement de leur peur et de leur désespoir, ils ont expérimenté une présence qui les dépasse et qui n'est pas seulement humaine.

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Le partage du pain

Les voici enfin arrivés à la maison du couple. Les règles de l'hospitalité juive donnent la préséance à l'invité, c'est donc à l'inconnu de dire la bénédiction sur le pain du repas, ... ainsi que sur la coupe de vin, mais Luc n'en parle pas.

C'est par la bénédiction du pain et par son partage entre les convives que le couple reconnaît Jésus, que leurs yeux englués par leurs préoccupations personnelles se dessillent enfin. Mais quel est ce repas qui les libère suffisamment d'eux-même pour reconnaître le Messie dans cet inconnu.

Vous pensez sans doute à la Cène. Je suis théologiquement d'accord avec vous et c'est bien ce que Luc vous suggère, mais ce rapprochement pose un problème.

La Cène a eu lieu à Jérusalem le soir du jeudi précédent. Luc écrit que Jésus a pris ce repas avec les apôtres, tandis que Matthieu et Marc indiquent les Douze ; mais le sens est le même : Cléopas et son épouse n'étaient pas là quand Jésus a institué la Cène. Il est possible que les Onze aient profité du sabbat, du samedi, suivant la mort de leur prophète pour réunir le second cercle de disciples et pour raconter le repas du jeudi soir. Mais c'est assez peu probable tant ils devaient avoir peur d'être ramassés par l'armée ou la police et subir la même mort. D'ailleurs avaient-ils compris ce qui s'était passé ce soir là à table ?

Peinture de Lochner sur le repas à Emmaüs

Le vocabulaire employé dans le passage d'Emmaüs est d'ailleurs plus proche de celui utilisé lors de la multiplication des pains où il y avait foule. Le repas d'Emmaüs complète le récit du miracle et il indique que le véritable partage sans fin du pain se prolonge au-delà de l'événement de la mort de Jésus. Il signifie l'aujourd'hui de ces temps nouveaux offerts au plus grand nombre et initiés par la présence de Christ vivant au milieu de ces disciples.

Les disciples font l'expérience concrète de la présence de Christ au milieu d'eux quand ils partagent le repas du Seigneur après la prière (la bénédiction) et la lecture de la Bible (que L'Esprit nous explique). L'évangéliste montre ainsi que les paroles de Jésus "faites ceci en mémoire de moi" n'étaient pas destinées seulement aux douze pendant qu'ils vivaient, mais aussi à nous tous aujourd'hui..

Et c'est ce que nous sommes appelés à expérimenter à chaque fois que nous sommes réunis en Son nom, ... même si les hasards du calendrier font que nous ne partageons pas aujourd'hui la Sainte Cène..

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En guise de conclusion

En guise de conclusion, il me semble que l'évangéliste a construit son texte dans un jeu de présence et d'absence. Il nous a indiqué dans ce récit que nous sommes aussi invités à faire cette expérience de Christ, notamment en quatre circonstances.

Premièrement, quand nous rencontrons un inconnu et que nous acceptons de faire un bout de chemin avec lui, de l'écouter et pour cela lui faire une place. L'autre est souvent celui qui nous permet de comprendre qui nous sommes. Par ses questions "Quels sont ces propos ... ?", "Quoi ?", il nous appelle à être vrais et à découvrir notre vérité que l'Esprit de Dieu met en nous.

Secondement, quand nous nous laissons interroger par la Bible qui se laisse interpréter par nous ou plutôt par l'Esprit de Dieu qui est en nous. J'espère pour vous que vous avez déjà expérimenté ce chaud au cœur quand vous vous êtes laissés interrogés et bouleversés par l'Esprit qui est en vous et qui était en ceux et celles qui ont écrit ces textes.

Troisièmement, quand nous partageons le pain et le vin comme Jésus nous a invités à le faire, non pas comme un geste magique, mais comme accomplissement de notre proximité et de notre sollicitude les uns pour les autres, dans l'assemblée des croyants et au-delà envers tous les humains.

Quatrièmement, quand nous cheminons en couple, comme ce couple de marcheurs, et quand nous nous interrogeons l'un l'autre sur nos espoirs et nos désespoirs, sur le sens qu'a pour nous la rencontre de l'autre, avec une minuscule, qu'est notre prochain, et de l'Autre, avec une majuscule, qu'est le Christ. C'est une chance de vivre, ou d'avoir vécu, dans un couple exigeant l'un pour l'autre, un couple où chacun soit une aide pour l'autre. Cependant cet amour n'exclut pas, comme pour Cléopas et son épouse inconnue, des moments de discussions animées où on se jette l'un à l'autre des paroles d'incompréhension.

Il y aurait beaucoup d'autres choses à dire, et sans doute de plus importantes, en particulier sur qui était le Christ, qui il est aujourd'hui, sur ce que veut dire être ressuscité, sur la manière de rencontrer le Vivant, de vivre de Lui, ...

Voilà, frères et sœurs, comment je me suis laissé interpellé par ce texte des voyageurs d'Emmaüs et ce que j'ai essayé de réinterpréter pour vous.

Amen !

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Un cantique adapté

Le cantique "Emmaüs" est aussi édité dans le recueil Arc en Ciel aux éditions Réveil
Paroles et musique de Noël Colombier
Copyright Fleurus

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Date de création : 20 mai 2002.
Dernière révision technique : 26 janvier 2005.
©Jean-Luc Dupaigne 2002.