Justification, Salut

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cette page contient une version allongée d'une prédication que j'ai donnée le dimanche 26 octobre 2008 au Temple des Terreaux à Lyon (1er). Dans le cadre du dimanche de la Réformation j'ai préféré ne pas coller aux textes bibliques du jour (c'est pourquoi dans cette page ils sont placés après la prédication et non pas avant), mais j'ai exprimé une pensée théologique sur deux thèmes majeurs de la Réforme : la justification et le salut.

Sommaire

La prédication

Frères et sœurs,


Gros mots

Le dernier dimanche d'octobre est devenu le dimanche de la Réformation, . C'est ainsi l'occasion de se remémorer l'action et la pensée de ceux et celles qui nous ont précédés dans la foi, particulièrement des premiers Réformateurs.

Ceux-ci ont refusé de se contenter des croyances, des formulations, des dogmes qui avaient cours à leur époque. Ils ont osé redonner sens à la foi, imaginer que Dieu pouvait encore et toujours apporter à leurs contemporains des raison de vivre, proposer une réponse à leurs questions.

Quitte à bouleverser les fausses évidences de leur temps, ils se sont attachés au message de la Bible au delà des mots déjà fatigués par tant de siècles.

Nous sommes tous et toutes invité(e)s à retraduire, à revisiter, comme on dit aujourd'hui, les concepts qui fondent notre croyance. Les vérités sont semper reformanda. C'est la fonction essentielle de la prédication, celle de proposer, dans les mots significatifs maintenant, une actualisation de la réponse de la foi aux préoccupations des hommes et des femmes d'aujourd'hui.

Aussi vais-je travailler avec vous deux concepts : la justification et le salut.


Justification

Justification. En bons protestants vous connaissez la formule "justification par la foi et non par les œuvres", formule alors radicale de Martin Luther contre les papistes, mais formule aujourd'hui acceptée par l'Église Catholique Apostolique et Romaine selon la déclaration commune luthéro-catholique de 1999.

Justification, qu'est-ce à dire ? Sortant tout à l'heure de ce temple, si vous allez sur la place des Terreaux interroger les passants pour un micro-trottoir en demandant : "Que veut dire le mot justification ?", probablement que vous n'aurez que des "rien", "je ne sais pas"  … Peut-être même aurais-je des réponses évasives si je passais parmi vous.

Justification, Justifier. Celles et ceux parmi vous qui se sont mis à l'informatique et utilisent un traitement de texte, savent sans doute que c'est une fonction pour aligner un paragraphe tant à droite qu'à gauche ; comme les lignes n'ont pas toutes le même nombre de lettres et les lettres n'ont pas toutes la même largeur, on insère des espaces supplémentaires entre les mots pour que la dernière lettre de chaque ligne d'un paragraphe soit aussi alignée à droite, comme les premières à gauche. C'est plus joli.

Justifier, pour un typographe, c'est aligner pareillement des deux cotés ; en nous justifiant Dieu veut-il nous aligner ? Demande-t-il que nous formions des carrés bien nets comme une troupe de soldats en rang ?

Gratuitement, c'est-à-dire de lui-même, sans attendre de réponse, sans justification, Dieu nous justifie ; mais vous, qui justifiez-vous dans la vie de tous les jours ? Et est-ce de votre propre initiative ou à la demande de quelqu'un d'autre ?

Il me semble que, mis à part son participe passé (par exemple "cette punition est justifiée"), ce verbe "justifier" ne s'utilise plus guère qu'à la forme réflexive : "se justifier".

Dans la vie professionnelle on passe son temps à se justifier :

Toutes les semaines au tribunal :

Même en famille :

Si l'un "se justifie", l'autre "a fait un reproche" et moi comme spectateur je n'ai pas pu éviter de porter un jugement. Pourtant j'aurais dû lire en Luc 6,37 : Ne vous posez pas en juges et vous ne serez pas jugés, ne condamnez pas et vous ne serez pas condamnés.

Ainsi, "se justifier" est associé à l'idée de faute et de culpabilité. Une autojustification pour échapper aux conséquences d'une erreur. Est-ce cela que demande un Dieu vengeur pour nous éviter les affres de l'enfer ?

"Se justifier" est aussi associé aux actions que j'ai faites et à celles que j'aurais dû faire. Est-ce cela qu'exige un Dieu comptable de mes œuvres pour me faire accéder à un paradis ?

C'est ce qu'avait cru le moine Martin Luther dans ses années d'angoisse. C'est ce qu'a refusé le réformateur Martin Luther en ce jour mythique du 31 octobre 1517 quand il aurait affiché ses 95 thèses sur la porte de l'Église du château de Wittenberg (en Saxe).

Car

Le monde de Dieu est le contraire du monde dans lequel je vis et que je n'arrive pas à rendre beau pour le laisser à mes enfants et petits-enfants. Il est Don contre mendicité, Justice contre faute, Accueil contre rancune, telle est notre foi.


Justifier

Pour l'instant j'ai parlé de l'action de la justification, mais pas de ce qu'elle était.

Dans le Second Testament grec trois mots viennent de la même racine grecque :

Étymologiquement, ce sont trois termes juridiques relevant du domaine des procès. Peut-être avez-vous subi pendant votre enfance un catéchisme qui vous menaçait d'un Dieu juge des temps derniers ouvrant à certains la porte du paradis et repoussant les autres dans un enfer rougeoyant. Peut-être avez-vous vécu dans un contexte tellement coincé où les parents et amis (ah, les bons amis de Job et leurs phrases assassines !) vous menaçaient d'un Dieu comptable de vos bonnes et surtout de vos mauvaises actions et pensées.

La justification c'est ça, la conséquence d'un jugement  … sauf que c'est exactement le contraire de la condamnation : (Romains 5,16) le jugement aboutit à la condamnation, la grâce aboutit à la justification. La justification, c'est le non-lieu du juge d'instruction disant qu'il n'y a pas lieu de poursuivre un suspect, moi ; c'est l'acquittement du jury disant que le prévenu, toi, vous, n'a commis aucun crime. C'est bien mieux qu'une amnistie qui reconnaît qu'il y a eu une faute jugée mais ordonne qu'on l'oublie.

La justification c'est, frères et sœurs, l'affirmation que Dieu considère qu'à Ses yeux, chacun des humains est libre de toute culpabilité, et est acceptable par Lui. Par le seul fait d'être humain, quoi qu'il ou elle ait fait, tout homme et toute femme est, par Dieu, jugé(e) être juste, digne d'être à Ses cotés,

Voici le premier attribut de notre Dieu : il est le juge qui reconnaît sans cesse notre innocence.

xairwmen (chaïrômen) Réjouissons-nous, frères et sœurs, nous sommes acquittés malgré l'accusateur, le satanav (satanas), le Satan, qui dans le livre de Job, persiffle aux oreilles de Dieu et dénonce nos éventuels manquements et nos fautes certaines.


Salut

Maintenant, parlons du salut offert, de l'action de sauver effectuée par notre Dieu.

Lors de votre micro-trottoir tout à l'heure en sortant, vous interrogerez aussi les passants sur le sens du mot "sauveur". Je suppose qu'on vous répondra :

Notre Dieu sauveur est-il un sauveteur qui libère des flammes ou un secouriste qui pratique le bouche-à-bouche pour nous réinsuffler la vie ?

Vous avez entendu Marc (voir ci-dessous) raconter la guérison de cette femme atteinte de métrorragies (j'ai consulté un dictionnaire médical), c'est-à-dire qui avait une hémorragie de l'utérus en dehors des périodes normales des règles, maladie possible aussi après la ménopause.

Cette femme subissait une vie impossible, car, selon la loi, personne n'avait pas le droit de l'approcher. Non seulement son époux n'avait pas le droit d'avoir des relations sexuelles avec elle (depuis douze ans !), mais ses enfants, ses amis n'avaient pas le droit de la toucher et elle ne pouvait pas aller célébrer Dieu à la synagogue. Tout le monde était au courant de son impureté rituelle, je vous passe les détails, mais les femmes ne portaient pas alors de culotte, encore moins de protections périodiques. Elle était pratiquement exclue de la communauté humaine et religieuse.

Elle s'approche de Jésus dans la foule en espérant ainsi être sauvée. "Se savoir malade" et "espérer être sauvé" sont les prémices du salut. Elle agit par derrière car elle est effrayée et tremblante à l'idée de voir et parler à Jésus ; elle qui est impure n'est pas autorisée à s'adresser à lui. Elle n'ose pas toucher Jésus en personne et se contente d'effleurer son vêtement avec confiance.

Son écoulement s'arrête et elle sait être guérie de la maladie. Jésus confirme ta foi t'a sauvée, sois guérie de ton mal. Au passage notons que ce n'est pas la volonté de Jésus qui agît, qui donne la foi aux âmes et qui guérit les corps, puisque la femme a été guérie à l'insu de Jésus et que celui-ci reconnaît l'antériorité de la foi de la femme. Jésus ne fait "que" constater qu'elle est sauvée et guérie.

Il y a plusieurs passages des évangiles où le salut et la guérison sont mêlés ;

La guérison, on comprend ce que c'est, mais le salut ?

Celles et ceux parmi vous qui ont visité Venise savent sans doute que face à la Piazza Santo Marco, de l'autre coté du gran canale, se dresse une église Santa Maria de la Salute, Notre Dame du Salut ? Non ! Notre Dame de la Santé ! En italien, la salute, c'est la santé, par exemple le stato di salute l'état de santé.

Selon Wikipédia, La construction de cette basilique fut décidée par le Sénat de Venise en 1630, alors qu'une épidémie de peste commencée dans l'été 1629 décimait près d'un tiers de la population en deux ans. La fête paroissiale (Festa della Madonna della Salute) est célébrée à Venise chaque année, le 21 novembre en souvenir de la fin de cette épidémie de peste.

Deux mots grecs utilisés dans la Bible, swthrion (sôterion) et swthria (sôteria), l'un masculin l'autre féminin, sont synonymes et indiquent le salut ; le mot swthr (sôter), lui uniquement au masculin, désigne le sauveur. Tous trois viennent du verbe grec swzw (sôdzô).

Ce verbe signifie sauver d'un danger immédiat le plus souvent, d'une maladie, mais aussi de l'effondrement d'une maison ou d'une armée ennemie (les généraux vainqueurs recevaient le titre honoraire de swthr (soter) sauveur). La prochaine fois que vous irez chez votre médecin traitant, vous pourrez le saluer caire swthr (chaïré soter) "bonjour sauveur".

Voici le second attribut de notre Dieu : Il est notre guérisseur. Il n'est pas un médecin moderne avec un peu de science et beaucoup de médicaments, mais notre rebouteux qui agit par des paroles et par un influx mystérieux, son Esprit.

La condition pour guérir est que nous nous sachions malades, comme cette femme qui s'approche de Jésus et veut être guérie. Frères et sœurs, êtes-vous malades ? Je ne parle pas des maladies du corps, pour cela il y a les pèlerinages à Lourdes, enfin pour celles et ceux qui veulent y croire ; non je parle des maladies intérieures qui rongent tout aussi efficacement qu'un cancer.

Guérir, peut-être, mais de quoi ? En particulier va-t-il nous délivrer de la dernière des maladies, celle qui conduit à la mort ? Car il est écrit en Jean 8,51 : En vérité, en vérité, je vous le dis, si quelqu'un garde ma parole, il ne verra jamais la mort. Cela ne sera sans doute pas une découverte pour vous, mais Moi je vous le dis "c'est, littéralement parlant, faux", nous allons tous mourir. Il me semble que Jean 5,24 est plus parlant : En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit en celui qui m'a envoyé  … ne vient pas en jugement, mais est passé de la mort à la vie.

Nous sommes tous et toutes pris dans des pulsions de mort et Dieu nous donne la force de les quitter pour la vie. Je ne veux pas ici faire de la psychanalyse de Monoprix, mais je vous livre une liste personnelle de forces en nous qui, malgré les apparences, nous conduisent à souffrir et à échouer. Voici quelques démons dont nous pouvons être libérés :

L'actualité nous en donne malheureusement des exemples édifiants :

Je peux en ajouter à la liste, non pas pour me culpabiliser, mais pour m'inviter à la foi, non pas pour menacer mon prochain, mais pour lui proposer de croire que Dieu a mis en nous la force de nous guérir de nos pulsions vers la mort, et ainsi de nous sauver de notre existence de morts vivants.


Libéré(e)s

Ainsi le Dieu de Jésus libère des jugements et des maladies qui conduisent à la mort. Il a libéré le moine Martin Luther qui était torturé par la peur de ne pas faire quelque chose et l'angoisse de faire quelque chose qui le conduise en enfer, il en a fait un croyant libre et déterminé à faire face aux accusations dont il a été l'objet. Dieu peut libérer encore aujourd'hui qui rentre en conversation avec Lui.

Annoncer aujourd'hui un Dieu qui ressuscite Jésus de Nazareth, c'est dire un libérateur qui agit sur les hommes et les femmes d'aujourd'hui ; sinon on se contente de faire de l'archéologie religieuse. Dire Dieu, c'est identifier les accusations et les maladies intérieures dont sont victimes nos contemporains pour leur indiquer comment les rejeter. Se dire Dieu, c'est identifier ses esclavages, son Égypte, et ses maîtres esclavagistes ses Égyptiens.

Pour faire sens, la liberté doit être signifiante ici et maintenant ; s'il y a un "après la mort", cela sera donné de surcroit et n'a pas grande importance pour vivre.


En guise de conclusion

Nous sommes donc appelés à vivre en hommes et en femmes libres,

Et nous sommes enjoints à en témoigner par nos convictions et nos œuvres parce que nous sommes déjà sauvés.

Mais nous savons que ce n'est pas si facile d'être libérés. Pour en vivre nous avons besoin de la grâce divine, de l'aide qu'il nous accorde.

Aussi, comme le chante à peu près Cookie Dingler, nous pouvons prier :

Ô Dieu,

Ne nous laisse pas tomber,
nous sommes si fragiles,
Être un humain libéré,
tu sais, c'est pas si facile !

Amen !


Textes de référence


Livre de l'Exode, chapitre 6, versets 2 à 9

Dieu adressa la parole à Moïse. Il lui dit :

« C'est moi le Seigneur.

Autrefois, j'ai établi mon alliance avec Abraham, avec Isaac et avec Jacob, pour leur donner le pays de Canaan, pays de leurs migrations, où ils étaient des émigré(e)s.

Maintenant, j'ai entendu la plainte des fils d'Israël, asservis par les Égyptiens, et je me suis souvenu de mon alliance.

C'est pourquoi, dis aux fils d'Israël :

Moïse parla ainsi aux fils d'Israël, mais ils n'écoutèrent pas Moïse, tant leur dure servitude les décourageait.


Évangile de Marc, chapitre 5, versets 24 à 34

Une foule suivait (Jésus), elle était si nombreuse qu'elle le pressait.

Il y avait là une femme atteinte d'une perte de sang depuis douze ans. Ayant entendu parler de Jésus, elle vint dans la foule, par–derrière, et toucha son vêtement. Car elle se disait :

Si je touche ne serait-ce que ses vêtements, je serai sauvée !

Aussitôt l'écoulement de sang s'arrêta, et elle ressentit dans son corps qu'elle était guérie de son mal.

Aussitôt Jésus se rendit compte qu'une force était sortie de lui. Il se retourna dans la foule et dit :

Qui a touché mes vêtements ?

Ses disciples lui disaient :

Tu vois la foule qui te presse de toutes parts, et tu dis : « Qui m'a touché ? »

Mais il regardait autour de lui pour voir qui avait fait cela.

Sachant ce qui lui était arrivé, la femme, effrayée et tremblante, vint se jeter à ses pieds et lui raconta toute la vérité.

Mais il lui dit :

Ma fille, ta foi t'a sauvée ; va en paix et sois guérie de ton mal.


Lettre de Paul aux Romains, chapitre 1, versets 8 à 17

Moi Paul, serviteur de Jésus–Christ, appelé à être apôtre et mis à part pour annoncer sa Bonne Nouvelle de Dieu à vous qui êtes à Rome, vous tous que Dieu aime et qu'il a appelé(e)s à être saints.

Que Dieu notre Père et le Seigneur Jésus–Christ vous accordent la grâce et la paix.

J'ai très envie de vous voir afin de vous communiquer les dons de l'Esprit Saint, pour que vous en soyez affermis. Plus exactement, quand je serai auprès de vous, la foi que nous avons nous réconfortera tous, vous et moi.

Frères (et sœurs) je dois m'occuper de tous, des Grecs comme des barbares, des gens instruits comme des ignorants. Je désire donc vivement vous annoncer la Bonne Nouvelle, à vous aussi qui habitez à Rome.

Car je n'ai pas à rougir de la Bonne Nouvelle : elle est puissance de Dieu pour le salut de chaque croyant, du Juif d'abord, puis du Grec.

C'est en elle en effet que la justice de Dieu est révélée, par la foi et pour la foi, selon qu'il est écrit : Celui qui est juste par la foi vivra.


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Date de création : 26 octobre 2008.
©Jean-Luc Dupaigne 2008.